Comme on l’attendait, cette Zauberflöte berlinoise ! Créée en 2012 à la Komische Oper par son bouillonnant directeur Barrie Kosky et le collectif londonien 1927, elle affiche complet dans toutes les maisons d’opéra qui l’accueillent et ne suscite qu’enthousiasme et dithyrambe. En ce début de novembre, elle fait étape à la Salle Favart pour huit représentations quasiment quotidiennes, assurées en alternance par deux distributions. C’est à la soirée du jeudi 9 novembre que le présent texte est consacré.

Étant l’un des opéras les plus représentés et les plus populaires au monde, Die Zauberflöte a suscité bien des partis pris de mise en scène, des plus classiques aux plus modernes, tel le conte post-apocalyptique imaginé par David Lescot, vu à Dijon en mars et actuellement à l’affiche de l’Opéra de Limoges. La proposition de Barrie Kosky est tout autre. Il s’agit avant tout de concevoir un spectacle pour tous, ou chacun, « de huit à quatre-vingts ans » comme il le dit lui-même, pourra trouver ses propres clefs d’entrée, sa propre grille de lecture. Le résultat, aussi visuel que musical, est centré sur le cinéma muet d’animation, grâce à l’apport du collectif 1927 (Suzanne Andrade et Paul Barritt), qui intervient pour la première fois dans le monde de l’opéra. À la différence de ce qui se fait (trop) souvent, la vidéo n’est pas ici un simple accessoire : elle est au cœur d’un dispositif dont l’équilibre repose sur sa parfaite intégration avec les personnages et l’orchestre. Le résultat est assez bluffant : ainsi de Monostatos tenant en laisse un de ses cerbères ou de Papageno sirotant un cocktail géant. Petit bémol : ce système réduit à la portion congrue les interactions entre les personnages.

Die Zauberflöte est une œuvre intemporelle, universelle et composite qui, empruntant à la fois à la musique savante et à la chanson populaire, met en scène des personnages aux aspirations très éloignées. Pour rendre compte de cette diversité tout en restant cohérente, la mise en scène puise dans de nombreuses sources d’inspiration, à commencer par le cinéma muet des années 20. Ainsi, Papageno ressemble-t-il à Buster Keaton, Monostatos à Nosferatu et Pamina à Louise Brooks. Autre intérêt de cette référence : elle permet de traiter astucieusement la question des dialogues parlés, qui sont souvent source d’embarras. Ici, ils ont été raccourcis à l’extrême et sont projetés – en allemand – tels des cartons d’intertitres ; ils sont accompagnés au pianoforte par des extraits des fantaisies pour piano n°4 et n°3 du compositeur. Deuxième source d’inspiration : le dessin animé, dans tous ses états et à toutes ses époques, depuis les années 40 jusqu’à nos jours. Les séquences désopilantes sont nombreuses : tribulations de Tamino dans l’estomac du monstre, transformation des animaux sauvages en danseuses de cabaret sous l’effet du glockenspiel, éléphantes roses psychédéliques que Papageno voit voler autour de lui après avoir bu un cocktail, pour n’en citer que quelques-unes. Les enfants, quant à eux, se régaleront à faire semblant d’avoir peur lors des apparitions de la Reine de la Nuit, terrifiant alien squelettico-arachnéen.

Le plateau vocal est assez inégal. Après un premier air un peu timide et guindé, le Papageno de Richard Sveda se libère rapidement et règne littéralement sur la scène grâce à son indéniable veine comique et à sa voix bien projetée, qui fait alterner légèreté et profondeur avec un grand naturel. Adrian Strooper campe un Tamino bien en place vocalement et dans son rôle de jeune prince en quête de l’Amour. La Pamina de Kim-Lillian Strebel est une jeune femme au fort caractère, peu encline à la nuance. Sa voix puissante et énergique peine à exprimer la douceur. Ainsi le « Ach, ich fühl’s… » ne parvient-il pas à émouvoir, si ce n’est grâce à l’orchestre. La basse d’Andreas Bauer est riche et profonde sur toute la tessiture. Son Sarastro est assez distancié, et ne semble accessible aux sentiments humains qu’à partir de son second air « In diesen heil'gen Hallen ». Il est tout aussi convaincant en Sprecher, mais pourquoi avoir sonorisé les interventions de ce dernier ? La Reine de la Nuit n’impressionne guère au-delà de son apparence. Vocalement, elle possède les notes, mais elle n’est pas à l’aise avec les tempi, surtout dans son premier air, où l’on note quelques décalages avec l’orchestre. De même, ses notes piquées manquent souvent de précision. Pétillante à souhait, la Papagena de Martha Eason dégage une belle vitalité vocale et scénique. Ivan Tursic donne à Monostatos une incarnation remarquable : sachant se teinter de couleurs sombres et fielleuses, le timbre possède également une noblesse qui rend presque émouvante l’expression de sa quête d’amour. Les facétieuses Dames (Inga-Britt Andersson, Katarzyna Wlodarczyk et Karolina Sikora) forment un trio très homogène. Quant au Arnold Schoenberg Chor, le plus souvent placé aux balcons attenants à la scène, il est admirable.

L’orchestre de la Komische Oper sous la direction de Kevin John Edusei, résonne superbement dans cette salle dont les dimensions sont proches de celles du Theater auf der Wieden, où fut créée Die Zauberflöte en 1791. Après une ouverture étonnamment aride, l’ensemble retrouve très vite verve et ductilité.

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