Les versions concertantes d’opéras peuvent avoir quelque chose de frustrant : l’absence de mise en scène met à nu chanteurs et orchestre, et si la distribution n’est pas sans faille et le livret complexe, l’auditeur peut vite déchanter. Aucun danger de ce type ne guette le fabuleux Attila que l’Opéra de Lyon a présenté ce 12 novembre 2017 sous la baguette de son nouveau directeur musical : Daniele Rustioni, avec un engagement physique total, rivalise avec la belle affiche vocale, qui associe une Tatiana Serjan éblouissante à un Erwin Schrott parfaitement crédible en barbare.

Une Odabella radieuse et tellement convaincante en vengeresse jouant double jeu, le soprano russe déploie une palette sonore absolument fascinante. On est particulièrement impressionné par sa technique, patente dans les vocalises maîtrisées et virtuoses, puis par son timbre. Elle possède des médium-graves que lui envieraient bien des mezzos : porteurs sans avoir besoin de projection, denses en harmoniques, suaves. Indépendante de sa partition, elle se coule sans difficulté dans toutes les atmosphères et expressions que lui demande le livret : colère, séduction, fierté et spiritualité mystique : sa romance « Oh ! nel fuggente nuvolo » est un véritable joyau de l’art lyrique.

Il est une vedette présente sur les scènes du monde entier, mais Ernst Schrott met un peu de temps pour trouver la bonne expression pour le rôle-titre : cultivant particulièrement l’arrogance barbare dans le premier acte, jusqu’à une volontaire nonchalance dans la couleur et la conduite du son, il regagne son habituelle noblesse vocale par la suite et assure finalement aux duos d’Attila et d’Odabella sa part de génie.

Dans le rôle de Foresto, Massimo Giordano est un représentant archétypique du bel canto italien, jusque dans la recherche d’effets, jusqu’aux portandi et ornementations, mais son ténor est un peu à l’étroit dans les aigus. Ezio, pour sa part, reçoit une très belle interprétation par Alexey Markov, dont le baryton très soigné et d’une beauté classique sied à l’émissaire de Rome. Si Grégoire Mour, tout jeune ténor en Uldino, est encore un peu en retrait par rapport au reste du plateau, son timbre promet d’ores et déjà de belles potentialités. Paolo Stupenengo enfin, baryton-basse issu des chœurs, possède un joli grain et incarne brièvement, mais très efficacement le druide en chef dans toute sa solennité.

On peut féliciter Barbara Kler pour sa belle préparation des chœurs : unis ou dissociés, ils séduisent en représentants pétulants et vifs de l’esprit du Resorgimento, druides, guerriers ou mystiques enlevés par la prière : vraiment exquises, les chanteuses, et la délicieuse dentelle transparente qu’elles trament en toute pureté, justesse et luminosité.

Tenant ensemble tous les fils de l’ouvrage, c’est Daniele Rustioni qui est le plus bluffant interprète de Verdi ce soir : sautant sur son praticable, le chef charismatique de seulement 34 ans accompagne les chanteurs jusque dans la respiration, donne le fouet à l’orchestre pour les plus folles chevauchées, déchaîne l’orage où sifflent les tourbillons de tous côtés, enjoint les trompettes en chromatismes à préparer l’entrée triomphale des chœurs ou dégage le lyrisme des duos d’amour. Entre Lyon et le nouveau directeur musical de l’Opéra, c’est déjà le coup de foudre : en témoignent tant l’accueil du public que la réaction tout aussi enthousiaste des instrumentistes et artistes lyriques conviés.

Pour le plus grand bonheur des mélomanes, Attila, beau barbare qu’on devrait sortir un peu plus souvent des oubliettes de l’histoire opératique, ne cessera de hanter la capitale des Gaules avec les mêmes troupes: ils reviendront assaillir Lyon non à l’Opéra, mais à l’Auditorium, le 12 mars 2018.

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