Deutsche Oper de Berlin : Olivier Py met en scène Le Prophète de Meyerbeer

- Publié le 30 novembre 2017 à 16:58
Le Prophète de Meyerbeer. Berlin, Deutsche Oper, le 26 novembre.
Le grand opéra de Meyerbeer est fêté un peu partout. Sauf à Paris, qui continue d'ignorer ce pan essentiel de notre patrimoine.

Une cité de banlieue à la laideur grise. Jean tient un bar, Berthe fait le ménage. Oberthal, le patron salaud, la viole dans sa voiture. Les travailleurs se révoltent et se donnent aux imposteurs anabaptistes. Le propos est clair : la pauvreté nourrit le fondamentalisme et conduit à la guerre civile, puis à la dictature théocratique. Le décor tournant montre le cercle infernal de la radicalisation, dont l’apothéose est la scène du couronnement. Cela dit, si Olivier Py souligne l’actualité du Prophète, il se garde de désigner : on pense à aujourd’hui, mais on se croirait parfois entre les deux guerres et les religieuses vêtues de noir sortiraient plutôt du couvent…

A l’opposé de la flamboyance des Huguenots bruxellois, la vision est sombre, très différente de celle vue récemment à Toulouse ; même les fastes du couronnement, avec ses faux miracles, ont quelque chose de ténébreux. Elle est ambiguë aussi, à travers l’omniprésence d’un ange ailé. Py signe une production où le grand opéra est bien tragédie collective et individuelle, marquée par la violence et la torture, qui s’achève par le suicide du prophète au milieu d’une orgie. A vrai dire, plutôt une partouze dans un bordel, évidemment bi, telle qu’on en déjà beaucoup vu chez lui… comme ces chorégraphies vaguement SM de militaires aux bustes sculptés. Ça ne renforce pas le propos. Et si l’on oubliait treillis et mitraillettes ?

Gregory Kunde fatigue beaucoup dans le haut de la tessiture, mais, toujours maître de son émission, nuance et phrase admirablement son Jean, prophète malgré lui, antihéros tourmenté plutôt qu’élu illuminé – à soixante-trois ans… La Berthe d’Elena Tsallagova n’a rien d’une victime résignée, Py voit aussi en elle une figure de la radicalisation : elle approcherait l’idéal si les aigus étaient moins bas. Très attendue, Clémentine Margaine n’a pas déçu en mère reniée… malgré une articulation parfois un rien pâteuse et un manque d’agilité fatal à la périlleuse cabalette du dernier acte : timbre opulent, tessiture homogène avec des graves dignes de la Horne, ligne superbe : un grand mezzo, vraiment, pour un rôle souvent quasi impossible par ses écarts. Les autres emplois sont bien tenus, dominés par l’Oberthal plein de morgue de Seth Carico.

A la tête d’un orchestre et d’un chœur excellents, Enrique Mazzola dirige une fresque colorée alla Delacroix – on y agite d’ailleurs le drapeau français comme dans La Liberté guidant le peuple -, cherchant à préserver, par l’ampleur du geste, la puissance du grand opéra, quitte à peser un peu lourd par endroits. Braunschweig, Karlsruhe, Essen, Toulouse, Berlin… cinq Prophète en trois ans : à quand Paris ?

Le Prophète de Meyerbeer. Berlin, Deutsche Oper, le 26 novembre.

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