Le duc d'Albe (1839)
Grand Opéra en 4 actes
Musique de Gaetano Donizetti (achevée par Giorgio Battitelli)
Livret de Eugène Scribe et Charles Duveyrier

Direction musicale : Andriy Yurkevych
Mise en scène : Carlos Wagner
Décors : Alfons Flores
Costumes : A.F. Vandevorst
Lumières : Fabrice Kebour
Chef des chœurs : Jan Schweiger

Avec

Hélène d'Egmont : Ania Jeruc
Henri de Bruges : Enea Scala
Le Duc d'Albe : Kartal Karagedik
Sandoval : David Shipley
Daniel : Markus Suihkonen
Carlos : Denzil Delaere
Balbuena : Denzil Delaere
Un Tavernier : Stephan Adriaens
Symfonisch Orkest Opera Vlaanderen
Koor Opera Vlaanderen

Reprise de la production de 2012

Opéra des Flandres – Gand, le 21 novembre 2017

Dans le nombre océanique d’opéras composés par Donizetti (plus de 70), combien ont survécu au laminoir du temps ? Entre les titres oubliés et ce grand opéra inachevé, cette semaine du 21 novembre aura été dédiée au Donizetti inconnu, profitant aussi du Festival Donizetti de Bergame. L’Opéra de Gand reprend la production du Duc d’Albe déjà présentée il y a quelques années à Anvers, avec une autre distribution, un opéra qui raconte l’occupation brutale des Flandres par l’Espagne, sous la botte du Duc d’Albe qui n’a jamais été terminé.  Eugène Scribe et Charles Duveyrier ont réutilisé leur livret pour Les Vêpres Siciliennes de Verdi qui raconte la même histoire (déplacée en Sicile) d’un jeune héros de la révolte (Henri) qui se trouve être le fils du terrible Duc D’Albe (Guy de Montfort chez Verdi). C’est cette fois Giorgio Battistelli qui a complété les parties inachevées, dont le final, qui avaient déjà été complétées par Matteo Salvi en 1882 pour la création au Teatro Apollo de Rome.

Acte IV

Proposée à Anvers en 2012, la production du Duc d’Albe, était alors la création mondiale de la version française originale (l’ouvrage est une commande de l’opéra de Paris, abandonnée pour des raisons non encore élucidées), puisque la création de la version italienne remonte à 1882.  C’est donc à Gand la reprise de cette même production avec une équipe complètement renouvelée. Grand Opéra à la française, le Duc d’Albe demande de la mise en scène, des images fortes, des interventions importantes du chœur et des voix particulièrement aguerries pour ce type de vocalité. L’histoire est un peu ce que Le Don Carlos de Verdi évoque, ces Flandres étouffées par la botte espagnole, celle du Duc D’Albe qui au contact d’un de ses ennemis qu’il reconnaît pour son fils, finit par s’humaniser, victime à son tour (son fils est tué) de la violence qu’il a déchaînée en Flandres.
La mise en scène du vénézuélien Carlos Wagner table plus sur les effets visuels que sur un travail très attentif au niveau des personnages, plutôt archétypaux : son Duc d’Albe, tout de blanc vêtu en première partie, de noir en seconde partie et couvert de tatouages et de piercing, semble être un skinhead de luxe, avec la réputation politique sulfureuse qui s’ensuit. Il est entouré de soldats en treillis, perchés sur des passerelles, dominant le peuple qu’ils oppressent avec de gigantesques silhouettes de soldats casqués qui écrasent la scène. Le décor de Alfons Flores (qui travaille si souvent avec la Fura dels Baus) utilise aussi la vidéo, comme cette vierge colorée qui explose dès le début, – la question de la Flandre est aussi religieuse- ou les défilés d’avion qui vont bombarder le pays. Tout cela est assez bien fait, dans une couleur sombre, et des éclairages crus, qui communiquent une idée de violence et d’oppression. Au-delà, pas de grandes idées.
C’est paradoxal, mais la mise en scène prend corps dans les parties non donizettiennes, c’est dans les parties réécrites par Battistelli, le finale et l’air du duc d’Albe que le travail de Carlos Wagner est le plus convaincant, sans doute le monologue du duc, qui bascule dans la souffrance, convient parfaitement  à une orchestration plus grèle, moins symphonique, suivie par un duo Henri/Duc d’Albe bien réglé et particulièrement émouvant ainsi que la belle image finale de ce chœur aux têtes coupées, conçue par Battistelli comme une sorte de pièce de Requiem, elle aussi a peu de Donizetti, mais cadre bien avec la vision sombre de l’ambiance de l’opéra.

Image finale

Musicalement, la direction du jeune ukrainien Andriy Yurkevych, très lyrique, jamais excessive, plutôt souple, permet aux chanteurs de ne jamais être couverts. Attentif aux voix et travaillant à l’homogénéisation de l’ensemble (Battistelli ressemble un peu à du Britten), et il veille à ne pas faire ressortir un côté « Grand Opéra » trop envahissant, pour s’attacher aux parties plus lyriques et intérieures. Et c’est plutôt réussi : il est aidé par un orchestre particulièrement impliqué, sans scories qui confirme la qualité d’une phalange très sollicitée dans des répertoires très différents.
Le chœur de l’Opéra des Flandres, particulièrement important (comme toujours dans le Grand Opéra) sous la direction de Jan Schweiger, montre lui aussi de belles qualités sonores, mais aussi de diction.

La distribution est dans l’ensemble de qualité, comme souvent à l’Opéra des Flandres : Kartal Karagedik est un Duc d’Albe presque trop élégant, avec un joli timbre et des moyens conséquents. Son chant ne réussit pas toujours à rendre la brutalité du personnage et il est bien plus à son aise dans la deuxième partie, quand derrière la brute se dessine le père, puis l’homme. Très respectable cependant.
J’ai été moins convaincu par Ania Jeruc vrai soprano lirico spinto, au timbre un peu métallique. La voix est grande, mais les aigus un peu criés et surtout il manque cette souplesse et cette rondeur inhérente au bel canto et au Grand Opéra de la période. Ainsi se pose moins la question de la présence vocale que celle d’une interprétation un peu en deçà de ce qui doit être demandé. Elle chante ce rôle comme une Abigaille ou une Odabella, là où il faudrait plus de lyrisme quelquefois.
Enea Scala est Henri, on reste stupéfait par sa diction et sa prononciation du français : c’est le seul qui soit parfaitement compréhensible, tout en ayant à la fois l’héroïsme nécessaire et le lyrisme voulu. Son air de l’acte IV « Sans être vu j’ai pénétré dans ce pieux réduit, asile solitaire » est vraiment réussi et émouvant. Il y a là du style, de l’élégance qui manque à sa collègue et qui se sent dans les duos. Certes, les suraigus exigés par le rôle comme souvent chez les ténors de Grand Opéra, sont redoutables, mais il s’en sort sans gros dommages. Enea Scala est un ténor qui là où il chante, obtient des triomphes (et c’est encore le cas ici). Il serait temps que les très grandes salles y pensent.

Duo henri/Duc d'Albe (Acte III) un des grands moments

Le reste de la distribution n’appelle pas de reproche, en particulier le Daniel du finnois Markus Suihkonen, une basse très digne d’intérêt et les autres petits rôles confiés aux artistes en résidence (Denzil Delaere par exemple).

Une semaine dédiée à Donizetti qui a bien commencé, avec un spectacle de belle tenue qui a permis de découvrir une œuvre qui est loin d’être méprisable.

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Guy Cherqui
Agrégé de Lettres, inspecteur pédagogique régional honoraire, Guy Cherqui « Le Wanderer » se promène depuis une cinquantaine d’années dans les théâtres et les festivals européens, Bayreuth depuis 1977, Salzbourg depuis 1979. Bouleversé par la production du Ring de Chéreau et Boulez à Bayreuth, vue sept fois, il défend depuis avec ardeur les mises en scènes dramaturgiques qui donnent au spectacle lyrique une plus-value. Fondateur avec David Verdier, Romain Jordan et Ronald Asmar du site Wanderersite.com, Il travaille aussi pour les revues Platea Magazine à Madrid, Opernwelt à Berlin. Il est l’auteur avec David Verdier de l’ouvrage Castorf-Ring-Bayreuth 2013–2017 paru aux éditions La Pommerie qui est la seule analyse parue à ce jour de cette production.
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