Opéra de paris : La Bohème de Puccini dans le vide intersidéral

- Publié le 5 décembre 2017 à 11:34
LA BOHÈME
La direction musicale de Gustavo Dudamel sauve de l'ennui un laborieux spectacle de science-fiction.

Après avoir mis Rigoletto en carton, Claus Guth envoie La Bohème dans l’immensité – ou le vide ? – intersidérale. Les deux premiers tableaux ont pour cadre un vaisseau spatial en perdition, où Rodolfo et ses acolytes, en tenue d’astronaute, se remémorent une histoire ancienne : et c’est parti pour un énième flashback sur la scène de l’Opéra de Paris.

Aux troisième et quatrième tableaux, nous voilà transportés à la surface d’une planète enneigée, censément en apesanteur. En réalité, tout pèse dans les attitudes et les mouvements ; seule l’omniprésence d’un « maître de cérémonie » muet, campé par un mime aux pouvoirs magiques (Guérassim Dichliev), apporte un soupçon d’animation poétique dans ce sombre tableau.

Zéro larme, zéro émotion, il faut un certain talent pour priver à ce point les personnages de consistance psychologique, le comble étant atteint avec cette pauvre Mimi, transformée en ectoplasme pour les besoins de la dramaturgie. Les décors d’Etienne Pluss n’en font pas moins leur petit effet et seraient sans doute formidables pour Einstein on The Beach. Mais le rapport avec le tendre mélo de La Bohème ? Mystère.

Sonya Yoncheva ayant déclaré forfait dès la deuxième représentation (sans aucune annonce dans la salle : drôle de manières), c’est Nicole Car qui la remplace, chanteuse et musicienne scrupuleuse, mais dont la pulpe un rien étique entrave la générosité de cette Mimi. Pour un peu, on échangerait son rôle avec celui d’Aida Garifulina, Musetta tout en charmes bisolaires, si celle-ci avait un médium plus charnu.

Chez les messieurs, Artur Rucinski (Marcello), Alessio Arduini (Schaunard) et Roberto Tagliavini (Colline) forment un excellent trio de comparses. Et Atalla Ayan, fier d’un timbre chaleureux et d’une ligne bien tenue, se hisserait parmi la cohorte des inoubliables Rodolfo si son aigu brillait avec davantage de liberté.

Les seules vraies étoiles, c’est au-dessus de la fosse qu’elles scintillent. Gustavo Dudamel parvient, comme peu d’autres avant lui, à faire sonner dans l’antre de Bastille une ample matière orchestrale, tour à tour zébrée d’éclairs électriques ou étirée en onctueuses caresses. Chaque pupitre chante à gorge déployée les petites voix d’un théâtre des âmes en peine. Dans la splendeur de ces miroitements sonores, le génie puccinien résiste.

La Bohème de Puccini. Paris, Opéra-Bastille, le 4 décembre.

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