Opéra
Une My Fair Lady sauce franglaise à l’Opéra de Marseille

Une My Fair Lady sauce franglaise à l’Opéra de Marseille

30 December 2017 | PAR Elodie Martinez

Si Rossini semble cette année avoir davantage le vent en poupe qu’Offenbach ou Johann Strauss (qu’il s’agisse du père ou du fils), il faut également compter sur les comédies musicales en cette fin d’année dans les maisons d’opéra, et plus particulièrement sur My Fair Lady donnée non seulement à Tours dans la mise en scène de Paul-Emile Fourny avec Fabienne Conrad et Jean-Louis Pichon (que nous avions vue à Massy), mais aussi à Marseille, dans une nouvelle production signée Jean Liermier mais dans laquelle nous retrouvons certains des visages de Massy…

[rating=3]

Comme rappelé dans notre précédent article de janvier 2016, My Fair Lady a d’abord été créée en 1956 à Broadway sur un livret d’Alan Jay Lener, inspiré de Pygmalion de Georges Bernard Shaw, et une musique de Frederick Loewe. En 1964, Audrey Hepburn immortalise le personnage d’Eliza Doolittle au cinéma dans le film de George Cukor, rendant cette comédie musicale définitivement mythique et il n’est pas rare de la voir sur scène ou bien à la télévision pour les Fêtes de fin d’année.

La nouvelle production marseillaise s’inscrit tout à fait dans l’esprit de la comédie musicale mais semble ne pas avoir réussi à se décider entre donner l’oeuvre originelle en anglais afin de satisfaire les “puriste” du musical, ou bien en donner une version traduite en français afin de la rendre totalement accessible au public (comme l’avait d’ailleurs fait Paul-Emile Fourny). Nous nous retrouvons donc avec un spectacle bilingue, mêlant les chants en anglais et les dialogues en français, un choix qui permet de satisfaire tout le monde (comme le montre l’enthousiasme du public présent). Un détail nous a cependant fortement surpris : pourquoi, alors que cette séparation est annoncée, intégrer des mots, des phrases, voir des répliques en anglais au milieu d’échanges en français? Nous entendons par exemple : “Prenez tout ce fichu panier pour six pence”, “of course, personne ne s’attend à ce qu’elle le dise correctement la première fois”, ou encore à un dialogue entre Eliza et Freddy dans lequel la première s’exprime dans une langue et le second dans une autre.

Côté décors, ces derniers sont ici assez simples mais suffisent à transporter la salle dans l’histoire attachante de cette marchande de fleurs, d’autant plus que les personnages suffisent souvent à habiller la scène. L’intérieur du professeur Higgins est ainsi relativement spartiate (collant assez bien au caractère du personnage), l’extérieur dans lequel se retrouvent Eliza et Mrs Higgins est réduit à un banc entouré de verdure juste autour, et la seconde scène montrant Freddy devant la maison résume cette dernière à sa porte d’entrée et à la fenêtre juste au-dessus. La scène du bal de l’ambassadeur laisse voir pour sa part un faux rideau peint en fond par lequel entrent les invités, quant au décor de la rue composé de deux bâtiment, il se retourne pour former l’intérieur de la maison du professeur Higgins. La simplicité est donc au rendez-vous, mais cela fonctionne bien.

Divers clins d’oeil à l’univers du musical sont également disséminés dans la pièce, comme la marchande de fleurs à vélo qui siffle l’air “I’m singing in the rain” ou encore, très amusant, celui fait durant la scène du chant de course. Ici , nous voyons les jockeys s’élancer, suivis par… Mary Poppins sur son cheval en bois! Un beau rappel à Julie Andrews qui avait créé le rôle à Broadway et qui fait son effet!

Côté interprètes, nous retrouvons ici Philippe Ermelier dans le rôle d’Alfred P. Doolittle, personnage dans lequel nous l’avions déjà entendu à Massy (et qu’il avait déjà interprété à Avignon). A nouveau, il est un formidable père alcoolique, fortement adroit dans sa maladresse, léger et festif, d’une réelle bonhomie. La projection ne s’est toutefois malheureusement pas améliorée et reste souvent insuffisante dans le chant, contrairement au parlé. Nous retrouvons également Raphaël Brémard en Freddy Eysford-Hill qui paraît presque timide et ne laisse pas toujours aller sa belle voix. Côté jeu, il respire la jovialité naïve d’un amoureux transit sur son petit nuage.

Jean-François Vinciguerra est un colonel Pickering convaincant mais dont la prononciation perd en netteté lorsqu’il doit chanter en anglais. Face à lui, François le Roux est un professeur Higgins des plus détestables, hautain, suffisant, misogyne, allant même jusqu’à se faire huer par les femmes du public lors de l’air dans lequel il demande pourquoi les femmes ne sont pas des hommes comme lui. Outre son jeu fort bien maîtrisé qui finit par le rendre touchant dans sa jalousie finale, il faut relever ici une projection tout aussi maîtrisée, que cela soit dans le parlé ou le chanté, ainsi qu’une prononciation exemplaire (mais pouvait-on en attendre moins de ce professeur?) Enfin, Marie-Eve Munger incarne Eliza Doolittle qui pourrait peut-être encore gagner en pétillance, mais cela tient peut-être du trac de la Première : la projection était quelque peu retenue en début de représentation et s’est libérée peu à peu pour laisser entendre une fort belle voix dans les aiguës, que l’on devine toutefois moins à l’aise dans les notes plus graves. Il semble également se dessiner un petit accent qui a quelque chose de québécois dans la première partie, lorsqu’elle parle “mal”, rendant la compréhension du texte moins aisée encore, alors que ce n’est absolument plus le cas lorsqu’elle parle “bien”.

Pour accompagner tout cela, les choeurs de la maison ont été fort homogènes et ont amené une véritable dimension supplémentaire à la soirée tandis que l’orchestre de l’Opéra de Marseille était sous la baguette de Bruno Membrey qui a su faire de l’ensemble un véritable orchestre aux couleurs de musical, tout restant à l’écoute de la scène et sans rien enlever à la qualité attendue dans une maison d’opéra.

Une fort plaisante soirée, légère et festive, qui a véritablement ravi la salle. Les saluts ont été l’occasion de partager une joie commune d’une belle soirée, joie apparemment partagée par le chef qui n’a pas hésiter à jouer durant les seconds saluts, accompagné par les applaudissements en rythme du public, ainsi qu’une fois le rideau baissé et la lumière rallumée. Il faut dire que l’on en reprendrait bien une part…

© Christian DRESSE

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Elodie Martinez
Après une Licence de Lettres Classiques et un Master en Lettres Modernes, Elodie découvre presque par hasard l'univers lyrique et a la chance d'intégrer en tant que figurante la production du Messie à l'Opéra de Lyon en décembre 2012. Elle débute également une thèse (qu'elle compte bien finir) sur Médée dans les arts en France aux XVIIe et XVIIIe siècles, puis, en parallèle d'un stage dans l'édition à Paris, elle découvre l'univers de la rédaction web et intègre l'équipe de Toute la culture où elle participe principalement aux pages d'opéra, de musique classique et de théâtre. Elle a aussi chroniqué un petit nombre de livres et poursuit l'aventure une fois rentrée sur Lyon. Malheureusement, son parcours professionnel la force à se restreindre et à abandonner les pages de théâtre. Aujourd'hui, elle est chargée de projets junior pour un site concurrent axé sur l'opéra, mais elle reste attachée à Toute la culture et continue d'être en charge de l'agenda classique ainsi que de contribuer, à moindre échelle, à la rédaction des chroniques d'opéra.

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