Chroniques

par irma foletti

Die Zauberflöte | La flûte enchantée
opéra de Wolfgang Amadeus Mozart

Opéra de Toulon
- 27 décembre 2017
Alexander Briger joue Die Zauberflöte, ultime opéra de Mozart
© frédéric stéphan

Pour les fêtes de fin d’année, l’Opéra de Toulon a commandé une nouvelle production du très populaire Singspiel mozartien à René Koering, compositeur et ancien directeur de l’Opéra national de Montpellier. Également présent à la création du Festival de Radio France et Montpellier en 1985, et à sa tête pendant plus de vingt-cinq ans, Koering avait d’ailleurs commandé en son temps une production de Die Zauberflöteà Jean-Paul Scarpitta qui fit quelques beaux soirs montpelliérains et marseillais.

Aujourd’hui le rideau s’ouvre sur trois cloisons entourant le plateau sur toute sa hauteur, sur lesquelles seront projetées les vidéos de Virgile Koering (le fils du metteur en scène), faisant office de décors. Les premières images sont de qualité et impressionnent favorablement : une clairière en bordure de forêt, un serpent qui ondule pour venir dévorer Tamino, le reptile qui éclate soudain en mille morceaux sur l’intervention des trois Dames. Viennent ensuite les trois portes – accompagnées des superbes lumières de Patrick Méeüs, balancées à gauche, à droite, puis au centre –, une somptueuse cité de gratte-ciel futuristes surgit (quoiqu’on reconnaisse celui de Dubaï, entre autres), ou encore ce sont de grandes figures géométriques dorées qui tournoient sur elles-mêmes dans le palais de Sarastro.

Curieusement, ce traitement visuel comporte aussi de larges temps faibles : aucun animal ne vient voir Tamino lorsque celui-ci joue de sa flûte, les apparitions de la Reine de la nuit sans spectaculaire ni support particulier, une animation en manque d’inspiration pendant les épreuves du feu et de l’eau… Comme à son habitude [lire nos chroniques de ses florentinishe Tragödie, Pelléas et Mélisande, Vedova scaltra et Voix humaine], René Koering apporte son lot de propositions originales, décapantes, voire provocatrices, à commencer par Tamino pendant l’Ouverture, qui gratte en cadence une guitare électrique – idée déjà utilisée dans son Rigoletto vu à Montpellier [lire notre chronique du 20 mars 2011] – , grimé en sosie d’Elvis Presley, blouson blanc incrusté de pierres précieuses largement ouvert sur le torse. Monostatos apparaît plus tard en Dark Vador (c’est osé, mais c’est drôle !), on voit des robots clones de C3PO toujours issus de Star Wars, tandis que Sarastro pencherait plutôt vers les films de James Bond, caressant dans les bras son chat blanc, tel le méchant chef du SPECTRE, l’organisation criminelle ennemie de Bond et du monde libre et gentil. Quelques éléments conservent l’imagerie classiquement associée à l’ouvrage, Papageno en tête, plus oiseleur que jamais en collants jaunes et plumes multicolores. Mais sa flûte de pan est ici remplacée par un saxophone miniature et le précieux Glockenspiel par… un presse-purée !

Dans cette série de représentations, les dialogues sont dits en français, parfois gentiment adaptés aux spécialités locales : Papageno échange ses oiseaux non pas contre du vin et du pain, mais pour du rosé et de la tarte tropézienne. Plusieurs passages sont un peu plus lourdingues, on entend des trucs à tout bout de champ, « allez, on se tire », « silence, la ferme », ou encore le okayyyyyyy de Jacquouille la Fripouille dans la bouche de Papageno. À l’Acte II, Sarastro et ses acolytes disent les textes en anglais, avec plus ou moins de bonheur : c’est parfait pour Monostatos, interprété par un artiste britannique, mais la prononciation du Sarastro italien prête à sourire.

En ce qui concerne la distribution vocale, deux chanteurs dominent les débats. La Pamina d’Andreea Soare, tout d’abord, malgré l’annonce faite avant le début du spectacle de « symptômes grippaux ». La voix est charnue, volumineuse et s’épanouit vers un aigu lumineux. Le registre grave est nettement moins séduisant et perd de sa justesse, mais l’air Ach, ich fühl's, es ist verschwunden ! est le vrai grand moment d’émotion de la soirée. Papageno semble être une seconde nature chez le baryton Armando Noguera, toujours aussi truculent, plein d’énergie et réussissant à décrocher le rire des plus jeunes spectateurs [lire nos chroniques du 29 septembre 2017, du 4 février 2014, des 15 novembre et 29 janvier 2013, entre autres]. Le chant est suffisamment sonore, mais le style se relâche par instants, on entend quelques sons fixes de moins bel effet. La Reine de la Nuit de Tuuli Takala est parfaitement digne, tous les suraigus piqués de ses deux airs attrapés avec une redoutable précision, mais le medium est plus approximatif ; la souplesse vocale ainsi que la puissance sont aussi plus modestes. Le volume est trop modéré également chez Antonio di Matteo (Sarastro), vraie basse profonde au creux impressionnant dans le grave. Marion Grange (Première Dame), Pauline Sabatier (deuxième) et Mareike Jankowski (troisième) forment un trio séduisant à l’oreille, alors que tout est prévu pour plaire aussi à l’œil, mini-jupes et blousons de cuir ! Le tympan peut-être moins flatté sur les interventions individuelles et, là encore, les textes français dits par la troisième dame sonnent très exotiques ! Les trois garçons – trois jeunes filles en fait – sont charmants visuellement, en marins à pompon, et vocalement bien en place au premier acte, mais parfois presque en perdition au second.

Côté positif enfin, le très solide Roman Ialcic (Orateur, Premier prêtre, Deuxième homme d’armes) est appréciable [lire nos chroniques de Freischütz et d’Otello], aux côtés de Camille Tresmontant (Deuxième prêtre, Premier homme d’armes) sans reproches [lire notre chronique du 14 juin 2017]. Du côté obscur, le Monostatos de Colin Judson est fort modeste, à peu près inaudible dans le registre grave, mais c’est surtout le Tamino de Sascha Emanuel Kramer qui pose un problème plus sérieux. Beau gosse en scène, le chanteur est capable d’émettre quelques jolies notes isolées, mais se montre rapidement dépassé par le rôle. La voix est en manque cruel d’égalité et le style désordonné : aigus serrés, effets larmoyants, justesse approximative au second acte… Après l’air Dies Bildnis ist bezaubernd schön (au cours duquel un bonhomme dessiné à la craie par un très jeune enfant fait office de portrait de Pamina), les Dames lui glissent « sois persévérant »… on ne peut que souscrire à leur conseil !

Le Chœur remplit sa tâche, avec plus de difficultés chez les dames – aigus saturés et intonation fausse à la toute fin de l’ouvrage – que chez les hommes, bien qu’on entende un défaut d’homogénéité chez les ténors. Enfin, la direction musicale d’Alexander Briger est une réelle satisfaction, la musique est pleine de contrastes, de ressort. Le chef s’applique aussi à faire ressortir les détails de la partition, on entend clairement en simultané les différents pupitres. Les instrumentistes sont à la hauteur de l’enjeu, même si les cuivres rencontrent de petites faiblesses épisodiques. Au tableau final, tout le monde danse sur les dernières mesures, y compris la Reine de la nuit, Monostatos et les Trois Dames qui prennent part à la fête. Quelques huées pour finir – chose rare à Toulon ! – accueillent toutefois l’équipe chargée de la réalisation visuelle et tempèrent cette ambiance festive.

IF