Soixante-cinq ans ! Il en aura fallu du temps pour voir enfin créé en France Wonderful Town de Bernstein. Rendons donc les honneurs à l’Opéra de Toulon pour avoir osé présenter en version scénique cette œuvre (trop) rare.

Créée à Broadway en 1953, la partition raconte l’histoire de deux sœurs qui quittent leur village de l’Ohio pour tenter leur chance à New York. L’une souhaite devenir journaliste, l’autre actrice mais les deux jeunes filles n’ont pas véritablement de talent et alternent mauvaises rencontres et infortunes. Happy End oblige, l’amour et la chance seront tout de même au rendez-vous. Bernstein colore sa musique de rythmes passionnants, de danses endiablées et de couleurs orchestrales particulièrement riches. Il inscrit surtout sa partition dans le pur style de la comédie musicale de Broadway.

Sous cet aspect la production de l’Opéra de Toulon reste extrêmement fidèle à l’esprit de l'œuvre. Du fait que ce Wonderful Town est distribué à des chanteurs non lyriques, le spectacle est intégralement sonorisé (orchestre compris). Une interrogation survient alors immédiatement : une maison d’opéra est-elle le meilleur lieu pour présenter ce type de répertoire ? Nous serions tentés de répondre par l’affirmative car quel autre théâtre dispose d’une fosse d’orchestre, d’un orchestre permanent, d’un chœur et d’un véritable savoir-faire technique ? La grande réussite du spectacle le prouve d’ailleurs.

Reste la question de la sonorisation, question interdite dans le genre lyrique. (Mais puisque nous ne sommes pas dans un spectacle lyrique, après tout…). Quelle que soit la réponse apportée par chacun à cette question abstraite, le public peut avoir souffert concrètement de la sonorisation très présente lors du spectacle. N'était-il possible d'obtenir une meilleure qualité sonore alors même que l’on disposait d’un orchestre professionnel et d'une salle à l’acoustique spécialement travaillée ? On peut regretter que le son arrive souvent à saturation, les décibels exagérément forts et la balance entre le plateau et la fosse trafiquée. Impossible d’évoquer les nuances ainsi que la question de l’homogénéité des musiciens en fosse et sur le plateau. Les chœurs, non sonorisés, sont quasiment inaudibles. Va pour le micro, mais alors, soignons particulièrement son usage !

Venons en au spectacle. Les satisfactions y sont nombreuses à commencer par la vive et inventive mise en scène d’Olivier Bénézech. Le metteur en scène prend le parti d’inscrire la partition dans le présent et y parvient avec des allusions fines aux combats actuels d’une jeunesse pleine d’ambitions. Le décor unique représente des murs de briques sur chaque côté. A l’arrière scène, des projections permettent un changement d’ambiance et de lieu assez réussi ; au centre, une drôle de mansarde accueille toute la joyeuse compagnie. Le spectacle donne à voir une riche palette de couleurs vives, des personnages guidés avec humour et de jolies trouvailles.

La chorégraphie de Johan Nus apporte au spectacle une énergie incroyable et, par sa sophistication, permet d’offrir une magnifique peinture de la population new-yorkaise : hommes d’affaires, prostituées, gays, proxénètes…. Tous y passent. Les transitions musicales sont également superbement soignées et permettent aux spectateurs de voyager en peu de temps des locaux de Vogue, à un studio de danse tout en prenant le métro. Saluons enfin le choix de ne pas traduire l’intrigue et de la proposer dans sa langue originale.

Côté musique, Jasmine Roy se distingue indéniablement et permet au personnage de Ruth d’acquérir toute son ampleur. L’interprétation permet une alternance de numéros comiques, cinglants et touchants. Après un « One hundred easy ways to lose a man » chanté devant le rideau rouge comme une meneuse de revue particulièrement drôle, la chanteuse propose un ébouriffant numéro de Conga avant de totalement subjuguer la salle lors d’un « Swing » d’une précision rythmique remarquable. Chapeau bas ! L’ensemble du casting s’engage avec envie et plaisir dans le spectacle et les artistes n’hésitent pas à donner de leur personne pour chanter/danser et respecter l’esprit musical du spectacle. L’orchestre de l’Opéra de Toulon dirigé par Larry Blank apparaît justement précis et les nombreux solos des bois et des cuivres sont délicieusement jazzy.

En définitive, une renaissance explosive d’une comédie musicale à savourer pour ce qu’elle est : une partition richement travaillée, à l’énergie communicative ! On en redemande ! 

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