Opéra National de Lorraine : Katia Kabanova de Janacek dans le couloir de la mort

- Publié le 7 février 2018 à 15:21
Katia Kabanova
A la tête de l'Orchestre Symphonique et Lyrique de Nancy, Mark Shanahan suscite, avec une parfaite maîtrise, la vigueur naturaliste des couleurs qu'appelle le chef-d'œuvre de Janacek.

Forces et cycles de la nature ne sont pas seulement le ressort du drame, mais le cadre métaphysique, dans nombre d’opéras de Janacek. Pour l’orchestre, les illustrer est un cadeau. Pour la mise en scène, un casse-tête. On s’apprête une nouvelle fois à en faire son deuil, en découvrant celle signée par Philipp Himmelmann pour le plateau nancéen, dont il est un habitué. Ca sent la copie de Marthaler, avec ces paliers de HLM et ces costumes flashy années 1980. Encore elles ! Vivement qu’une nouvelle génération soit aux manettes, afin de passer à la décennie suivante, si l’alpha et l’omega de nos régisseurs se résume aujourd’hui à se souvenir de l’époque de leurs premières boums.

Mais Himmelmann a aussi pompé Olivier Py, et en a tiré une plus substantifique moelle. Alors que le chœur des voisins fait peser sur la pauvre Katia l’oppression du collectif attendue, voici que le papier peint à fleurs commence à se mouvoir. Les couloirs défilent tel jadis le bateau de Tristan, prouesse technique pour laquelle les équipes de l’Opéra National de Lorraine seront justement saluées au rideau final, dévoilant, entre portes d’appartements, ascenseurs, cages d’escalier, ces éclairs de beauté qui émerveillent Koudriach dès la première réplique : trouées sur le ciel à travers les carreaux, aquariums, orages avec leurs pluies diluviennes sur le plateau. Jusqu’à l’aboutissement inéluctable, quand les constructions humaines disparaissent : l’immensité obscure du cours de la Volga. C’est fort, très juste, et l’on se réjouit de ne pas être resté sur l’impression première, d’autant que la direction d’acteurs est d’une précision affûtée – même si le contre-pied faisant de Kabanikha une poule lubrique affaiblit sa dimension de parque, aussi excellent soit le numéro de Leah-Marian Jones et véhément son chant.

Evidence absolue, en revanche, avec la Katia d’Elena Juntunen. Enfantine et exaltée, elle trouve le difficile équilibre entre soumission et révolte, sensualité et innocence, avec dans le timbre une irrésistible lumière juvénile, et dans la conduite des phrases le parfait alliage entre cantabile et emportement. L’équipe s’avère de toute façon idéale, du Tikhon, pathétique dans sa drôlerie, campé par Eric Huchet, à la Varvara fine mouche et musicienne d’Eléonore Pancrazi, en passant par le Koudriach irrésistiblement charmeur de Trystan Llŷr Griffiths. La séduction n’est pas le premier atout de Peter Wedd en Boris, mais ce sont les blessures d’un homme entre deux âges qui intéressent le metteur en scène, et le chanteur s’en acquitte avec un héroïsme brisé et touchant.

L’Orchestre Symphonique et Lyrique de Nancy n’a ni la somptuosité ni la virtuosité de grandes formations qu’on peut avoir dans l’oreille, mais ce Janacek exige plus encore la vigueur naturaliste des couleurs, l’âpreté de la narration. Mark Shanahan les suscite avec une parfaite maîtrise, et tient le fil tendu entre fosse et plateau. L’acoustique très crue de la salle nous plonge au cœur de la tragédie, dont on ressort tremblant.

Katia Kabanova de Janacek. Nancy, Opéra National de Lorraine, le 6 février.

Diapason