Au Théâtre des Champs-Elysées, pas un siège vide. Dans la salle, un profond climat de ferveur. Chacun sait à quoi il est en droit de s'attendre.

Levée de rideau. Le travail d'Olivier Py, déjà unanimement salué en 2013, révèle le profond respect du metteur en scène pour le texte de Bernanos et la musique de Poulenc. À aucun moment, Py n'en force le sens, se contentant de le mettre en lumière. Et quelles lumières ! Qu'il s'agisse de la chaleur du lustre, seul témoin du cadre de vie bourgeois dans lequel évolue Blanche, de la simple bougie qui éclaire Madame de Croissy mourante, ou des rais de lumière découpant dans le noir les ombres des Carmélites reclues, elles se caractérisent toutes par leur élégante sobriété. 

La mise en scène procède ainsi par tableaux, nous permettant d'appréhender sous différents regards le rude quotidien de ces nonnes déjà condamnées par une époque qui n'est plus la leur. Le dernier tableau du 1er acte, où Madame de Croissy (Anne-Sophie von Otter) est accrochée à un lit suspendu au mur, éclairée de façon à ce que le spectateur puisse l'observer comme d'en haut, avec le regard de Dieu, est assurément un grand moment de mise en scène, rendu possible par l'éclairage intimiste de Bertrand Killy. Olivier Py n'oublie pas non plus ce que cette trame narrative peut nourrir comme cauchemars et fantasmes, comme dans le premier tableau, où une nuée d'ombres derrière un paravent évoque le souvenir de la révolte qui tua la mère de Blanche. La mise en scène tente ainsi moins d'imposer une écrasante perfection par la somptuosité de costumes ou de décors grandioses, que d'isoler chaque spectateur dans le dénuement de ces sœurs carmélites, enfermées dans les blocs de pierre brute de Pierre-André Weitz. 

Sur la scène, Sabine Devieilhe incarne Constance d'une façon absolue, si bien que l'on a du mal à imaginer quiconque d'autre dans ce rôle. Dans son caractère, dans la fluidité de sa ligne, sa voix a la légèreté miroitante des bulles de savon avec lesquelles elle s'amuse dans le premier acte.

Anne-Sophie von Otter donne une leçon de grandeur. Une diction impeccable pour la seule non-francophone du panel, une capacité à imposer la tension à chacune de ses apparitions, et vocalement, des graves magnifiques car acides, au plus proche du tremblement d'une voix humaine tourmentée.

En Madame Lidoine, Véronique Gens arrive à combiner une vraie grandeur vocale et une authentique simplicité de caractère. Parfaitement à l'aise dans un rôle vocalement très complexe, on sent beaucoup d'avenir encore dans des rôles toujours plus variés pour celle qui fut l'une des meilleures Elvire française de ces dernières années.

La voix de Sophie Koch porte la même incandescence, mais c'est par son jeu d'actrice qu'elle étonne, notamment dans les regards en biais qu'elle adresse à sa rivale, Madame Lidoine.

Dans le rôle principal, Patricia Petibon assume des choix d'interprétation courageux, notamment ces nombreux passages assumés senza vibrato, où la voix se découvre dans son dénuement le plus total. Il y a quelque chose d'ingénu dans ce personnage, dans cette voix, qui ne révèle sa puissance qu'en des cris déchirants (notamment lors du fameux duo avec son frère dans le deuxième acte).

Quand on a la chance d'avoir sur scène le nec plus ultra de l'art lyrique français, on ne le met pas en péril par un orchestre aux capacités évidentes, mais si mal préparé. Les sons de pupitre sont certes magnifiques (mention spéciale à la présence rauque et grimaçante des cordes graves), mais trop de départs sont mal coordonnés, trop de pizz. sont imprécis dans l'exécution, et on sent trop de longues tenues où les musiciens semblent abandonnés par le chef et pour ainsi dire livrés à eux-même. Jérémie Rhorer semblait bien trop concentré sur sa partition pour coller au plus près des subtilités de rythme des chanteurs. Mais surtout, qu'est-ce que c'est fort ! Dans cet opéra du dénuement, c'est la lutte permanente entre les chanteurs et la fosse. L'orchestre semble fort enthousiaste devant les splendeurs harmoniques de Poulenc, et les premières victimes de cet enthousiasme sont les chanteurs eux-même, forcés de soutenir en permanence une nuance forte pour espérer émerger de la masse orchestrale. Malgré tout, on quitte la salle admiratifs de la santé rayonnante de l'art lyrique français, venant de porter au plus haut l'un de ses chef-d'oeuvres les plus personnels.

Cliquez ici pour lire l'entretien avec Véronique Gens réalisé par Pierre Liscia en amont de la représentation. 

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