Chroniques

par michel slama

Dialogues des carmélites
opéra de Francis Poulenc

Théâtre des Champs-Élysées, Paris
- 7 février 2018
Dialogues des carmélites (Poulenc) par Olivier Py au Théâtre des Champs-Élysées
© vincent pontet

En décembre 2013, le Théâtre des Champs-Élysées créait l’événement en proposant Dialogues des Carmélites de Francis Poulenc mis en scène par Olivier Py, dans des conditions d’excellence unanimement saluées par le public et la critique. La délicatesse, la sobriété et la sensibilité intelligentes avec lesquelles le directeur du Festival d’Avignon concevait le spectacle émut une grande partie du public que son Aida rutilante et provocatrice à l’Opéra Bastille avait pu agacer [sur la reprise, lire notre chronique du 19 juin 2016].

Le drame de ces âmes touchées par la grâce divine est idéalement servi par la scénographie de Pierre-André Weitz. Les décors changent à vue. Ce sont de grands panneaux de bois de nuances gris clair ou foncé qui s’étirent lentement en croix, hauts murs austères sur lesquels l’on écrit à la craie, comme sur un tableau d’école, Liberté, Égalité et Dieu. Ils font place à une forêt de troncs d’arbres hivernaux aux branches parallèles, taillées comme pour s’élever vers le Ciel. Les lumières de Bertrand Killy épousent à merveille les intentions du metteur en scène, oxymore de clarté et d’obscurité. Au troisième tableau du troisième acte, le décor de la cellule de la Conciergerie dans laquelle se trouvent rassemblées les Carmélites est le plus spectaculaire, tableau moderne héritant de Vasarely et de l’art cinétique. Olivier Py excelle par une direction d’acteurs précise et une gestuelle respectueuse de l’austérité ou de la violence des situations.

Par rapport à 2013, les changements se situent dans le renouvellement partiel de la distribution d’origine. Par ailleurs, le Chœur est déplacé de la fosse vers deux côtés du premier balcon, ce qui amplifie de façon spectaculaire leur présence, spécialement pour le Salve Regina final qu’on n’a jamais entendu aussi poignant, emprisonnant les voix des quinze carmélites. Aujourd’hui comme hier, la distribution est exceptionnelle de justesse et de qualité. On y retrouve une large part de celles qui en firent le succès, à commencer par Patricia Petibon en Blanche de La Force, à la fois frénétique, extatique et mystique. La cantatrice rousse a encore mûri ce personnage complexe, pivot de l’action. Terrorisée et héroïque, elle s’empare du rôle avec une voix qui évolua en puissance et en nuances.

On regrettera peut-être l’utilisation presque systématique de la technique de voix blanche pour les notes aigües pianissimo. Pour son opéra Poulenc revendiquait les influences de Debussy, Monteverdi, Verdi et Moussorgski. Même si le sujet apparaissait austère et peu propice au théâtre, il tenait à en faire le chef d’œuvre de sa vie. « Voilà, jusqu’à présent on m’appelait un petit maître, et peut-être bien qu’après ça, je vais enfin devenir un grand maître » affirmait-il. Les voix devaient donc être caractérisées et très affirmées, cherchant à rompre ainsi une monotonie inéluctable. Ainsi pour Blanche, il pensait à Thaïs de Massenet, qui convient parfaitement à Patricia Petibon, Madame Lidoine – l’indispensable et charismatique Véronique Gens déjà présente en 2013 – celle de la Desdemona de Verdi (Otello), pour Mère Marie de l’Incarnation rien moins que Kundry (Parsifal) ! Sophie Koch y est toujours admirable et possède une autorité et une puissance vocales percutantes, alternant brutalité et humanité, héroïsme et lâcheté.

Les nouveaux venus sont, quant à eux, prodigieux. La performance d’Anne Sofie Von Otter en Madame de Croissy est impressionnante. Ses dernières prestations avaient fait craindre une usure irrémédiable de la voix. Loin d’être le modèle de l’Amnéris d’Aida voulu par Poulenc, elle affirme cependant une force et une noblesse qui ne déclinent pas, même quand la prieure est aux portes de cette mort douloureuse. Elle compense certaines difficultés vocales par un art du théâtre aguerri. De plus, son français est impeccable. Sabine Devieilhe triomphe en Constance, perfection du style, lumière angélique du timbre et caractérisation parfaite pour cette cousine éloignée de Zerline, selon le compositeur (Don Giovanni). Stanislas de Barbeyrac est idéal, lui aussi, en Chevalier de La Force. Le ténor mozartien attendu par Poulenc dépasse largement ses limites en composant un personnage puissant et passionné. Le duo du Tableau 3 de l’Acte II, Pourquoi vous tenez-vous ainsi, fut rarement aussi émouvant et captivant. Les autres rôles sont parfaitement tenus. Entre autres, on découvre Nicolas Cavallier très à l’aise en Marquis et François Piolino toujours parfait en Aumonier.

À la tête de l’Orchestre national de France, la direction de Jérémie Rhorer déçoit par des changements de tempi assez radicaux et une fâcheuse tendance à couvrir les voix, ce qui contraint les protagonistes à souvent chanter fortissimo, à la limite du cri pour certains, ou à rester inaudibles pour d’autres. L’équilibre entre cuivres et cordes, vraie difficulté de la partition, n’est pas tout à fait respecté. Au tout début, le faux départ de l’orchestre et l’attente brève d’un public impatient semblaient être un indice d’impréparation pour cette première. Gageons que les prochaines représentations sauront corriger ces défauts mineurs.

MS