Richard Wagner (1813–1883)
Siegfried
Zweiter Tag des Bühnenfestspiels
Der Ring des Nibelungen
Dichtung vom Komponisten
Musikalische Leitung  Kirill Petrenko
Inszenierung                 Andreas Kriegenburg
Bühne                             Harald B. Thor
Kostüme                         Andrea Schraad
Licht                                Stefan Bolliger
Choreographie              Zenta Haerter
Dramaturgie                 Marion Tiedtke
Dramaturgie                 Olaf A. Schmitt
Siegfried             Stefan Vinke
Mime                  Wolfgang Ablinger-Sperrhacke
Der Wanderer   Egils Silins
Alberich              John Lundgren
Fafner                 Ain Anger
Erda                    Okka von der Damerau
Brünnhilde        Nina Stemme
Stimme eines Waldvogels
                  Mirella Hagen

Bayerisches Staatsorchester
(Siegfried-Ruf : Franz Draxinger)

Nationaltheater München, 3 Février 2018

Ce Ring étendu sur un mois, avant une version concentrée cet été pour le Festival se poursuit avec bonheur. L’orchestre au sommet, une distribution d’une grande solidité, une mise en scène qui fait toujours discuter, mais qui tient la route après 6 ans ; une fois de plus Munich démontre qu’elle est aussi la maison de Wagner. Cette fois-ci, un Siegfried en version bande (presque) dessinée fraiche et souriante ; on peut ne pas aimer, mais quelle virtuosité !

Siegfried et le Dragon (Acte II)

Incroyable tuba ! On n’a pas l’habitude de parler dans ces articles du tuba wagnérien, mais le prélude de Siegfried où l’instrument se taille la part du lion laisse rêveur quand on l’entend, s’imposer à la fois sonore et profond, dans une sorte de son spatialisé qui étonne. On a rarement entendu de tels harmoniques : quelle maîtrise de Steffen Schmid, le soliste en fosse ce soir-là !
Tant qu’on y est, signalons aussi le cor solo (le fameux Siegfried-Ruf) de Franz Draxinger extraordinaire de précision. Le Bayerisches Staatsorchester est actuellement sans l’ombre d’une hésitation l’un des plus grands orchestres d’opéra aujourd’hui et ses solistes méritent d’être cités.
C’est en effet d’abord la fabuleuse prestation de l’orchestre qui continue de stupéfier sous la direction d’un Kirill Petrenko, de plus en plus le Shiva des chefs, tant il est partout à la fois et qu’il se multiplie, donnant les indications toujours précises au plateau, n’oubliant jamais de regarder tel ou tel soliste, embrasant l’orchestre (le prélude de l’acte III restera dans la mémoire, je n’ai rien entendu de tel depuis Boulez). Il est l’élément d’attraction de cette reprise du Ring à la distribution exceptionnelle dominée par Nina Stemme.
De la mise en scène de Andreas Kriegenburg nous avons parlé ailleurs ((voir Le Blog du Wanderer2013)) on ne peut que répéter les qualités d’un travail qui se lit à l’aune de l’ensemble, une aventure dans le mythe, lisible par l’utilisation (depuis Rheingold) d’une humanité souriante et chosifiée figurant les différents moments de l’œuvre. Ici, les décors sont portés par des hommes, la forge est figurée par des corps humains, ainsi que les arbres autour desquels l’oiseau vole. La terre d’où émerge Erda, ce sont des dos humains, avec un nombre de figurants impressionnant où se mêlent techniciens et machinistes d’une remarquable efficacité. Tout cela donne aux trois premiers jours de l’histoire (un peu moins pour Walküre, conçue comme un récit à part, plus fermé) mais aussi bien Siegfried que Rheingold une couleur qui renvoie au conte, au récit mythique, au point que cette foule en scène dérange certains spectateurs qui y voient un détournement de l’attention et de la concentration sur le drame qui s’éparpillerait parmi la foule de figurants.
Siegfried est plutôt un moment positif  de l’histoire : le « bon »  héros triomphe des méchants et de ceux qui les manipulent, Wotan/Le Wanderer essentiellement, mais aussi Alberich le double noir de Wotan (Schwarz-Alberich) ce qui justifie l’aspect souriant et facile du déroulement de l’histoire avec des sommets tels que l’apparition du dragon, tête monstrueuse faite de corps mouvants, un peu vus de loin comme des vers de terre grouillants.

Acte III (duo)

Le troisième acte est dominé par le duo Brünnhilde-Siegfried, dont le centre est un lit blanc (comme dans le 3ème acte de Lohengrin dans de nombreuses productions), comme si l’enjeu était le lit, qui se démultiplie en une immense toile rouge, sorte de lit géant couleur sang qui renvoie à l’angoisse de perdre sa virginité de la part de Brünnhilde : car l’enjeu du duo n’est l’amour qu’en apparence : entre Siegfried qui demande à posséder Brünnhilde (Sei mein !) et une Brünnhilde angoissée de perdre une virginité qui est aussi perte de la connaissance divine et perte de l’éternité, il y a peu de place pour un romantisme, même échevelé. Que le duo se termine par le mot Tod ((la mort)) qui justifiait naguère les crocodiles de Castorf. Kriegenburg le marque ici en évoquant ces angoisses et cet amour qui n’est que désir et qui n’annonce que les drames futurs de Götterdämmerung. Ambiguïté d’un duo dont la musique enivrante peut tromper un spectateur trop romantique à qui Wagner tend son piège en créant la tension entre une musique débordante et sublime face un texte ambigu qui ne parle pas vraiment d’amour (et Siegfried partira dès que l’union sera consommée, le lendemain matin…).
C’est cet univers étrange et original construit par Andreas Kriegenburg qui se clôt par ce duo, un univers de conte, de récit mythique, qui masque un horizon dramatique où le couple héroïque va vivre en chutant dans le monde, qui sera l’idée centrale de Götterdämmerung.

Ce qui frappe dans cette production, c’est la parfaite adéquation entre la musique et le spectacle, entre le plateau et la mise en scène. Kirill Petrenko n’est pas de ces chefs qui arrêtent une fois pour toutes une interprétation : il s’adapte toujours au plateau, à la mise en scène d’abord dont il épouse de rythme et qui détermine son approche. Il ne dirigeait pas Siegfried de la même façon à Bayreuth, mais il écoute aussi les voix à disposition, c’est très singulier quand on entend le Siegfried de Stefan Vinke, héroïque et tout d’une pièce, et celui qu’on entendait avec Lance Ryan, mauvais garçon à Bayreuth, jeune homme un peu adolescent dans cette mise en scène lors de la dernière reprise (2015). C’est encore plus sensible avec une voix comme celle de Nina Stemme, forte certes, mais pleine de tendresse, de lyrisme, envahi par le doute. Petrenko épouse ces nuances, ce qui donne une direction toujours nouvelle quelquefois surprenante, et en tous cas toujours passionnante, tendue, théâtrale : une direction qui nous raconte quelque chose, jamais narcissique, toujours en devenir et toujours avançant.
Il est vrai que le plateau qu’il met en valeur est exceptionnel.
Wolfgang Koch a dû renoncer se trouve remplacé par Egil Silins dans le Wanderer, dont la voix quelquefois un peu opaque convient bien au personnage. On l’a vu à Paris dans des conditions plus difficiles. Il est ici convaincant, d’abord par la diction et l’expression, si importantes au premier acte. Le duo avec Alberich au deuxième acte a la rage voulue et aussi l’insinuation et la roublardise. Enfin face à Erda il montre au départ une superbe qu’on ne lui a pas toujours connu, qu’il reproduit avec l’énergie du désespoir (et le succès que l’on sait) face à Siegfried. Une composition étudiée, intelligente, et une belle présence, ainsi qu’une voix très bien soutenue par un orchestre qui semble en dialogue avec le chanteur.

Alberich (John Lundgren) et Mime (Wolfgang Ablinger-Sperrhacke)

L’Alberich de John Lundgren est simplement superbe, avec des accents et une énergie, une jeunesse aussi qui étonne, et qui forcent l’admiration. C’est un rôle dont il épouse tous les contours, avec la rage, la naïveté, la brutalité et ainsi une palette de couleurs dans l’expression qui en font l’Alberich du moment. Lundgren est aussi bien Wotan qu’Alberich sur les scènes et il y réussit dans les deux rôles ; il est cependant ici encore plus LE personnage, et on sent par ailleurs le travail effectué avec le chef, notamment sur la manière de dire…magnifique.
Ain Anger est Fafner et sa courte intervention est plus convaincante et ressentie que son Hunding la semaine précédente : il remporte d’ailleurs un beau succès.
Le Mime de Wolfgang Ablinger-Sperrhacke est bien connu, c’est même l’un des Mime du jour. Ténor de caractère, particulièrement expressif, plus convaincant dans Siegfried que dans Rheingold, Wolfgang Ablinger-Sperrhacke est toujours un grand Mime (on se souvient de sa composition à Paris) particulièrement expressif au deuxième acte et déchainé au premier, il remporte un très gros succès, mérité.
Stefan Vinke avec sa figure souriante et son côté un peu poupin est un Siegfried tout d’une pièce, pas trop travaillé par la subtilité : il a une sorte d’innocence – y compris dans la violence – qui le rend sympathique. La voix est en place et bien projetée dans ce rôle redoutable où le premier acte est totalement hors sol pour lui (l’air de la forge est à la fois long et hyper tendu) qui s’en sort avec tous les honneurs. Convenons que les Siegfried ne sont pas légion et celui-ci est tête de gondole.
Néanmoins, et c’est compréhensible, la voix se ressent de ces fatigues au troisième acte, elle devient plus nasale, connaît de manière très fugace quelques problèmes d’intonation, et la nécessité de se confronter à une telle Brünnhilde le contraint à forcer quelquefois. Mais cela reste dans l’ensemble une belle performance.
Du côté féminin, l’Oiseau de Mirella Hagen est toujours aussi frais et juste, dans une mise en scène qui le dédouble et le personnifie en une sorte d’Ariel, léger et aérien (tout à l’opposé de l’Oiseau monumental de Castorf).

Erda (Okka von der Damerau) et Le Wanderer (Egils Silins)

Okka von der Damerau affirme comme toujours une belle présence vocale, avec une très grande expressivité, dans une fixité statuaire. Cette artiste très populaire à Munich, appartient encore à la troupe, avec une plasticité notable pour épouser les différents rôles offerts. Elle est très convaincante en Erda, la voix est forte, magnifiquement projetée, la diction impeccable avec un souci de soigner la couleur, et le personnage impressionnant.
Nina Stemme était Brünnhilde : débarrassons-nous immédiatement des deux notes un peu ratées d’une prestation par ailleurs supérieure, la première (Heil…) et la dernière (Tod) où elle n’a pu attaquer l’aigu de front.
À part ça (on sait que la Brünnhilde de Siegfried est redoutable pour une chanteuse) où retrouvera-t-on une Brünnhilde aussi subtile, aussi apte à travailler l’expression et la couleur, aussi lyrique aussi ? La voix charnue sait se faire insinuante, elle sait s’adoucir, elle sait aussi s’imposer en force. Qu’admirer le plus, de l’intelligence du texte, de la profondeur de l’interprétation et du jeu, de l’engagement ? C’est simplement quelquefois inouï par la justesse de l’expression et par ailleurs profondément émouvant. Stemme sait faire partager les différents états psychologiques traversés tellement elle est présente au rôle et tellement elle en épouse les variations – si nombreuses dans ce moment-là de l’œuvre -, et Petrenko fait en fosse un incroyable travail pour dialoguer, pour soutenir, pour épouser la voix en veillant à ne jamais la couvrir, mais toujours la mettre en valeur et répondre en écho y compris par la mise ne valeur de chaque instrument à l’incroyable composition aux multiples accents de la chanteuse.
On l’aura compris : ce Siegfried fut incomparable. On voit mal qui pourrait lui contester la primauté : on est à des niveaux qu’on n’avait pas entendus depuis des dizaines d’années.

Siegfried (Stefan Vinke)

 

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Guy Cherqui
Agrégé de Lettres, inspecteur pédagogique régional honoraire, Guy Cherqui « Le Wanderer » se promène depuis une cinquantaine d’années dans les théâtres et les festivals européens, Bayreuth depuis 1977, Salzbourg depuis 1979. Bouleversé par la production du Ring de Chéreau et Boulez à Bayreuth, vue sept fois, il défend depuis avec ardeur les mises en scènes dramaturgiques qui donnent au spectacle lyrique une plus-value. Fondateur avec David Verdier, Romain Jordan et Ronald Asmar du site Wanderersite.com, Il travaille aussi pour les revues Platea Magazine à Madrid, Opernwelt à Berlin. Il est l’auteur avec David Verdier de l’ouvrage Castorf-Ring-Bayreuth 2013–2017 paru aux éditions La Pommerie qui est la seule analyse parue à ce jour de cette production.
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