Chroniques

par irma foletti

Peter Grimes
opéra de Benjamin Britten

Palau de les arts Reina Sofía, Valence
- 13 février 2018
reprise réussie du Peter Grimes (Britten) de Willy Decker à Valence (Espagne)
© mikel ponce & miguel lorenzo

Tout d’abord, ce Peter Grimes est proposé au Palau Les Arts Reina Sofía de Valence dans un contexte particulier, puisque programmé par Davide Livermore, précédent directeur général de l'institution, qui vient de démissionner tout récemment. Le metteur en scène italien a toutefois eu le temps de prévoir également la saison prochaine, qui devrait être annoncée au mois de mai.

Les mises en scène de Willy Decker sont-elles indémodables ?
Après avoir vu, à l'Opéra Bastille la saison dernière, la trente-septième représentation (suivant la création de 1995) de son Eugène Onéguine, puis plus récemment La clemenza di Tito au Palais Garnier (cinquantième représentation suivant la création de 1997) [lire nos chroniques du 17 septembre 2010 et du 10 septembre 2011], voici un spectacle créé à La Monnaie de Bruxelles en 1994 et repris également plusieurs fois depuis. On retrouve certains dispositifs scéniques utilisés habituellement par le réalisateur, comme ces grandes cloisons (décors et costumes de John MacFarlane), déplacées et éclairées diversement suivant l'ambiance des tableaux (lumières de Trui Malten).

Le prologue démarre avec Peter Grimes portant le cercueil de son précédent apprenti mousse, avant son jugement. Le rideau tombe, laissant Ellen Orford en avant-scène, puis se lève sur les habitants du Borough assis sur des rangées de chaises, les femmes d'un côté et les hommes de l'autre, tous chantant en chœur sous la battue du Révérend. Lorsqu’à l'approche de la tempête Grimes demande de l'aide pour mettre son bateau à l'abri, chacun plonge son nez dans son feuillet de partition. À la vue d'Ellen à l'avant du plateau, ces villageois, tous vêtus de noir et de blanc à l'exception des deux nièces qui portent quelques touches de rouge, se montrent scandalisés ; beaucoup la pointent du doigt et quelques-uns se lèvent. La jeune femme rentre alors rapidement dans le rang, s'asseyant sur une place du premier. Ce sera aussi l'image finale du spectacle, comme si, quels que soient les évènements, même les plus terribles qui se puissent imaginer – la mort de trois jeunes apprentis, le suicide commandé de Grimes –, la force des habitudes immuables devait l'emporter. Pendant certains interludes musicaux, la cloison en fond de plateau part dans les cintres et découvre un ciel nuageux, sombre et menaçant, deux parois en angle sous des lumières rouges évoquent le pub The Boar et l’on craint, pendant ce tableau, qu'une chaise tombée à terre ne finisse dans la fosse d'orchestre tant la pente est accentuée. Deux parois rapprochées figurent l'église où l'on voit, au fond, le révérend qui porte une croix ; on y accrochera plus tard le pull retrouvé du troisième apprenti décédé accidentellement. La maison de Grimes – plus précisément un simple lit – est délimitée par deux cloisons en angle, d’où une échelle permet de rejoindre le bateau de pêche, désescalade qui sera fatale au jeune garçon.

Déjà évoquée, la forte pente du plateau favorise certainement l’équilibre entre les chanteurs et la fosse d’orchestre. Pourtant, le chef Christopher Franklin fait sonner très généreusement l’Orquestra de la Comunitat Valenciana, qui se montre techniquement impeccable : cuivres brillants, cordes sereines, bois précis et délicieux, etc. Du point de vue du rythme, le chef paraît accélérer certains passages plus que de raison, laissant certainement un peu de poésie en route [lire nos chroniques de La scala di seta et de La sonnambula].

Ce sont les débuts scéniques de Gregory Kunde dans le rôle-titre qui font figure d’évènement. Le ténor américain, qui aborda déjà le rôle au concert, incarne un Grimes exceptionnel : totalement halluciné à son entrée dans le pub sur Now the Great Bear and Pleiades, c’est la rage qui sort plus d’une fois du personnage, mais il peut aussi montrer son côté humain lorsqu’il tranquillise son apprenti en le serrant dans ses bras. Vocalement, les aigus claironnent et passent au travers des grosses masses chorales, tandis que les graves sont superbement exprimés, sans les petits effets granuleux qui se faisaient entendre dans son interprétation berlinoise du Prophète de Meyerbeer [lire notre chronique du 16 décembre 2017].

Annoncée souffrante, Leah Partridge tient tout de même son rôle sans problèmes, mais dans un volume discret qui s’amincit nettement dans le grave. Les sonorités du soprano sont jolies, mais pas suprêmement aériennes, et la chanteuse reste à réécouter… en pleine forme ! Robert Bork est, quant à lui, un Balstrode efficace, robuste, aux accents pleins d’humanité [lire nos chroniques du 11 décembre 2005, du 8 février 2006, du 25 mai 2007, du 4 novembre 2011 et du 13 mars 2017], alors que l’autre baryton, Charles Rice distribué en Ned Keene [lire nos chroniques de Benjamin, dernière nuit et Viva la mamma!], possède une qualité de timbre encore supérieure. Les interventions du ténor Ted Schmitz (Reverend Adams) sont également convaincantes, ce qui est un peu moins le cas de Richard Cox (Bob Doles), Andrew Greenan (Swallow) et Lukas Jakobski (Hobson) qui font tout de même le job.

Dalia Schaechter paraît une pâle Auntie, sans la projection mordante qu’on attend pour ce rôle. Elle est bien entourée par les deux nièces, Giorgia Rotolo et Marianna Mappa. Rosalind Plowright est beaucoup plus en situation en inquiétante Mrs Sedley, à la fois vocalement et visuellement. Un mot enfin sur les artistes du Cor de la Generalitat Valenciana, très en voix, fort enthousiastes et parfaitement coordonnés (Francesc Perales) : ils font un sans-faute impressionnant, jusqu’à la dernière note.

IF