Gaetano Donizetti (1797–1848)
L'elisir d'amore

Melodramma giocoso en deux actes (1832)
Livret Felice Romani d'après Eugène Scribe, pour Le Philtre, opéra de Daniel François Esprit Auber (1831)

Musikalische Leitung  Stefano Ranzani
Inszenierung                 David Bösch
Bühne                             Patrick Bannwart
Kostüme                        Falko Herold
Licht                               Michael Bauer
Dramaturgie                 Rainer Karlitschek
Chor                               Stellario Fagone
Adina          Ekaterina Siurina
Nemorino  Pavol Breslik
Belcore       Andrei Bondarenko
Dulcamara Ambrogio Maestri
Giannetta   Paula Iancic

Bayerisches Staatsorchester
(Hammerklavier : Chad Kelly)
Chor der Bayerischen Staatsoper

 

 

Nationaltheater München, 10 Février 2018

Entre Mahler avec le BRSO  et Gatti la veille, et Götterdämmerung dirigé par Petrenko le lendemain, s’est glissé Donizetti avec cette représentation de l’elisir d’amore, première représentation de la reprise de la production de David Bösch, qui remonte à 2009, et qui n’a pas vieilli, avec une distribution de beau niveau, dominée par Ambrogio Maestri, toujours souverain, et Pavol Breslik, Nemorino échevelé très inattendu qui emporte l’adhésion.

Quand les portes de la salle s‘ouvrent, le spectateur est accueilli par un grand dessin sur le rideau de scène qui évoque (on le verra plus tard) la drôle de machine sur laquelle Dulcamara arrive, entre la soucoupe volante en forme de ballon de foot et la moissonneuse batteuse sortie d’un film à la Mad Max. Cette production de David Bösch, l’une des premières qui le fit connaître, renvoie à son univers désormais bien connu  de terrains vagues où gisent des objets du quotidien un peu abîmés ou vieillis, une image de décharge publique post atomique, un univers noir qui est l’univers de son décorateur Patrick Bannwart et qui rappelle par moments celui d’Erich Wonder, le décorateur de Harry Kupfer dont il fut l’élève. Qui a vu quelques productions de David Bösch (Meistersinger ou Orfeo à Munich, Boccanegra à Lyon) en reconnaît immédiatement la patte, qui renvoie plus cette fois, à cause du sourire, à l'ambiance de l’Orfeo,  sans doute l’un de ses spectacles d’opéra les plus réussis.
Celui-ci en est un autre, qui installe immédiatement le sourire, un sourire qui renvoie aussi à celui d’un Chaplin, dont il s’inspire pour le travail très élaboré du personnage de Nemorino. Car si aussi bien Adina que Dulcamara sont traités dans la tradition (Bösch n’est pas un adepte du Regietheater, il reste « fidèle » aux livrets, tout en les insérant dans l’univers dont il était question plus haut, un univers d’après l’apocalypse fait de terrains vagues ou de décharges, uniformément gris ou noirs qui créent de jolies images poétiques dans lesquels peuvent s’insérer aussi bien des drames que des comédies. Ici étrangement s’y mélange un univers du conte :

Arrivée de Dulcamara (Ambrogio Maestri)

l’arrivée de Dulcamara sur sa machine illuminée qui lance des jets de fumée bruyants et avec ses râteaux tournants et son corps central en forme de ballon de foot, de soucoupe volante, ou même de carrosse de Cendrillon recyclé par Mad Max est emblématique de cet univers qui fait de Giannetta une sorte de petite fée bienveillante et où les soldats sont de vrais occupants, mais qui se conclut par la fête et les confettis multicolores.Tout cela est formidablement bien fait,  plein de gags, plein de sourires, qui installent la bonne humeur sur le plateau et dans le public.

Adina (Ekaterina Siurina) avec ici Charles Castronovo

On l’a dit, aussi bien Adina que Dulcamara sont plutôt vus de manière traditionnelle : Adina tranche par son costume avec les autres personnages : une robe simple, une attitude jamais caricaturale, mais en même temps une certaine tendresse bien rendue en scène par Ekaterina Siurina. Quant à Ambrogio Maestri, qui était déjà Dulcamara à la création, il entre parfaitement dans le costume de clown roublard qui entourloupe le pauvre Nemorino, mais  sans tomber dans la seule caricature : il observe le monde avec son œil clinique et lit parfaitement dans les êtres, c’est un personnage plus profond qu’il n’y paraît et c’est ici tout l’intérêt de la composition, empreinte de cette humanité souriante qui caractérise l’ensemble.
Belcore, dans ce tableau général, n’est pas le soldat d’opérette ou de cirque qu’on a l’habitude de voir : il arrive avec sa compagnie, et c’est bien d’une armée d'occupation  qu’il s’agit et qui régit ce petit monde. L’apocalypse n’est jamais loin et la soldatesque renvoie à ces marines de la guerre du Vietnam dans un univers à la Coppola. Au fond cet Elisir c’est Chaplin chez Coppola. Contrairement à d’autres visions de Belcore auxquelles le spectateur ne croît pas un seul instant, cette fois-ci, ce Belcore hâbleur (Andrei Bondarenko) reste crédible, conforme à l’image du soldat conquérant sûr de lui et dominateur. La force de Bösch, c’est d’installer un univers d’après-guerre avec des relations plausibles entre les êtres, et de rester toujours au bord de ce qui pourrait devenir un drame. C’est un parti pris virtuose parfaitement réussi.

Acte I, scène I : Nemorino à la Chaplin

Mais c’est Nemorino qui est le personnage le mieux travaillé. Le modèle chaplinesque le rend à la fois maladroit et tendre, clownesque et charmeur. Pavol Breslik l’interprète avec une vérité étonnante, virevoltant, échevelé, et foncièrement émouvant, en particulier à la fin quand Adina enfin lui avoue son amour, il est là profondément touchant et d’un incroyable naturel.
La distribution est composée de chanteurs qui pour la plupart l’ont déjà chantée mais pas les uns avec les autres. Il n’est donc pas difficile de retrouver une véritable homogénéité de plateau qui rend l’ensemble vraiment réussi.
La jeune Giannetta de Paula Iancic, vocalement un tout petit rôle, bien tenu d’ailleurs, est valorisée par la mise en scène qui en fait un personnage lige, une petite fée sympathique le plus souvent en scène qui soutient Nemorino, comme une fée clochette désopilante et décalée avec ses lunettes énormes ou ses costumes de dessin animé.
Belcore (Andrei Bondarenko) est ce personnage au total assez réaliste, et psychologiquement bien dessiné, que Bondarenko défend avec une voix bien posée, mais sans expressivité notable, il n’est pas vocalement caricatural, mais n’est pas non plus trop caractérisé, il joue avec naturel, mais le chant reste sans véritable caractère dans un rôle qui en demande et malgré une certaine présence scénique.
Le Dulcamara d’Ambrogio Maestri est le chef d’orchestre de la farce (dont le livret de Felice Romani rappelons le, vient de Scribe pour l’opéra Le Philtre d’Auber inspiré de l’histoire de Tristan et Iseult) arrivé comme le cocher d’un carrosse drolatique qui bouleverse le village, mi carrosse mi machine de guerre, il est un des ces roublards qui suivent les armées en campagne, doué de finesse psychologique, qui analyse les rapports entre les gens et leur offre ce qu’ils souhaitent. Dans ce rôle, Maestri est moins caricatural que dans d’autres. La voix a peut-être un peu perdu dans le registre central, les aigus impressionnants sont poussés (les passages manquant de fluidité) mais le rendu reste vraiment de très grand niveau et l’agilité scénique, l’expressivité, la couleur, tout cela est encore aujourd’hui sans doute inégalé, parce que Bösch fait en sorte qu’il ne tombe jamais dans la caricature : ce Dulcamara reste vraisemblable. Le fait que ce soit toujours Maestri qui depuis la création de la production, reprenne le rôle lui donne un naturel souverain et une maîtrise qui continue de stupéfier.
Ekaterina Siurina était Adina, qui joue cruellement avec le cœur de Nemorino, sans que jamais on ne sache exactement à quel moment elle est séduite par la tendresse naïve et l’amour obstiné du jeune homme, voire si elle en était convaincue dès le départ et voulait jouer de son avantage. Siurina a une certaine fraîcheur, très naturelle pour figurer ce parcours vers l’amour, avec ses ambiguïtés et sa part de rouerie. Le personnage se laisse séduire par Belcore sans jamais aller trop loin, dans un jeu de faux semblants qui l’amènent quand même au mariage avec Belcore (second acte), alors qu’on sent qu’elle a déjà basculé vers Nemorino. La voix est bien contrôlée, sans éclats particulier au premier acte, acceptable mais pas totalement convaincante, un peu anonyme. De fait le second acte est bien meilleur que le premier, la voix s’est chauffée et le chant est plus expressif (l’air una tenera occhiatina est bien conduit, et la voix montre plus d’engagement et plus de couleur). Siurina a une vraie présence dans ce jeu marivaudien des faux semblants et des vrais sentiments que David Bösch sait mettre en valeur.

Pavol Breslik (ici avec Alexandra Kurzak) en 2014 dans cette production

Pavol Breslik, qui a déjà chanté le rôle dans cette production il y a plusieurs années, est le véritable héros de la fête : d’abord par l’allure, chaplinesque, on l’a dit, avec une fraîcheur marquée, et un vrai naturel dans l’attitude et le chant. La voix n’est pas très grande, mais magnifiquement contrôlée, avec un timbre lumineux et une diction de l’italien impeccable et donc une grande clarté dans l’expression et la couleur. L’engagement physique est exceptionnel c'est un rôle où le protagoniste doit sans cesse bouger et tournoyer : David Bösch fait chanter très volontairement le très (trop) attendu Una furtiva lagrima accroché au pylône d’un lampadaire de rue, planté au milieu de ce paysage de nulle part, dans des positions assez acrobatiques qui rendent la performance d’autant plus méritoire. Il y a dans son interprétation une tendresse continue, une émotion contenue qui touche le spectateur, une douce maladresse à qui l’on pardonne tout. Son second acte de ce point de vue est tout à fait exceptionnel. Pavol Breslik avec ses moyens, réussit à faire du personnage un véritable anti-héros et un héros tout à la fois. Alors que l’univers voulu est celui de la BD, du cartoon, Breslik n’est jamais caricatural, mais jamais non plus empoté comme on voit bien des Nemorino, il sait aussi lorsque « l’elixir » lui fait trop effet et qu’il est entouré de toutes les filles du village habillées en mariées (elles viennent d’apprendre qu’il est en devenu le parti le plus intéressant) jouer le chippendale échevelé. Il est désopilant certes, mais sans jamais être ridicule. Grande incarnation.

Le chœur préparé par Stellario Fagone est comme toujours clair et puissant, même s’ il y a quelques décalages avec le chef (problèmes de répétitions ?).
Stefano Ranzani est un de ces chefs dits « de répertoire » qui mènent la représentation à sa fin. La direction musicale reste cependant un peu forte et couvre souvent le plateau, elle ne rend pas les raffinements de cette musique, notamment quand elle est claire allusion à Rossini (chœur des villageoises « or Nemorino è milionario » ). L’œuvre de 1832 est évidemment marquée par le cygne de Pesaro, encore à l’époque la référence absolue dans le « giocoso » (l’œuvre est un melodramma giocoso). On peine a trouver dans cette direction autre chose qu’un accompagnement quelquefois un peu lourd des voix et rien de la délicatesse de l’œuvre.
Malgré tout, avec un cast de très bon niveau d’ensemble et une mise en scène exceptionnelle qui tient le tout à bout de bras, cet Elisir d’amore "de répertoire" vaut bien des représentations dans d’autres maisons du système « stagione ». Les spectateurs ont fait un accueil triomphal à l’ensemble de la troupe, spécialement à Maestri et Breslik qui ont dominé la soirée ; mais tout le monde sortaice t le sourire aux lèvres, ce qui était la marque de la réussite du vrai chef d’orchestre de la soirée : David Bösch.

Prochaines représentations : 18 février et 6 juillet 2018 ((avec Vittorio Grigòlo et Pretty Yende))

Scène finale entre coeurs et confettis

 

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Guy Cherqui
Agrégé de Lettres, inspecteur pédagogique régional honoraire, Guy Cherqui « Le Wanderer » se promène depuis une cinquantaine d’années dans les théâtres et les festivals européens, Bayreuth depuis 1977, Salzbourg depuis 1979. Bouleversé par la production du Ring de Chéreau et Boulez à Bayreuth, vue sept fois, il défend depuis avec ardeur les mises en scènes dramaturgiques qui donnent au spectacle lyrique une plus-value. Fondateur avec David Verdier, Romain Jordan et Ronald Asmar du site Wanderersite.com, Il travaille aussi pour les revues Platea Magazine à Madrid, Opernwelt à Berlin. Il est l’auteur avec David Verdier de l’ouvrage Castorf-Ring-Bayreuth 2013–2017 paru aux éditions La Pommerie qui est la seule analyse parue à ce jour de cette production.
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1 COMMENTAIRE

  1. J ai vu Pavol Breslik dans ce meme Nemorino a Barcelone avec Jessica Pratt dans une autre mise en scene ou il était fantastique vocalement et scéniquement a cote d‘une J Pratt aux coloratures tres imposantes. C est un role qu il maitrise magnifiquement vocalement et sceniquement

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