jeudi 28 mars 2024

Compte-rendu critique, opéra. TOURS, le 16 février 2018. GOUNOD : Philémon & Baucis, recréation en 3 actes. Pionnier / Ostini.

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Compte-rendu critique, opéra. TOURS, le 16 février 2018. GOUNOD : Philémon & Baucis, recréation en 3 actes. Pionnier / Ostini. Voilà assurément l’événement lyrique de l’année 2018, celle du Centenaire Debussy. Alors que les institutions parisiennes se montrent timides ou peu inspirées dans leur célébration du génie debussyste, l’Opéra de Tours cible juste en dévoilant, de surcroît dans sa version intégrale (en 3 actes, dont le II comprenant le fameux et si méconnu chœur contestataire…), l’opéra comique, Philémon & Baucis, joyau méconnu créé en 1860.

 

 

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Norma Nahon (Baucis), fausse coquette volage au III

 
 
 

D’un format plus resserré et court que son précédent opéra Faust, Philémon n’en conserve pas moins la meilleure inspiration d’un Gounod qui excelle dans la caractérisation de ses personnages inspirés de la fable de La Fontaine. Tout en se montrant éperdu, lyrique, sentimental quand il faut dépeindre l’amour fidèle et indéfectible du couple Philémon / Baucis, le musicien qui bientôt composera son chef d’oeuvre absolu, Roméo et Juliette, sait ciseler les contrastes dramatiques et psychologiques qui distinguent Jupiter et son comparse et double, Vulcain. Le mari volage batifole, se surpasse en noblesse supérieure (mais jamais arrogante ni condescendante vis à vis de ses protégés Philémon et Baucis) ; le second, perce par sa carrure brute, aigre, désillusionnée… en mari trompé (par Vénus son épouse, heureuse amante de Mars).
Ainsi le quatuor vocal excelle dans le style élégant et sincère propre à Gounod. Baucis tendre et sobre, Norma Nahoun, en vraie coloratoure (vocalises de la coquette au III) relève les défis de sa partie originellement conçue pour mettre en valeur l’épouse du directeur du Théâtre-Lyrique, et précédemment créatrice du rôle de Marguerite (Faust). Fine, juste, agile, la soprano donne du corps et de la vraisemblance à la jeune Baucis qui âgée ou juvénilisée, conserve une indéfectible fidélité pour son seul amour terrestre, Philémon. Ce dernier trouve une belle ardeur grâce au ténor Sébastien Droy ; d’ailleurs, leurs duos qui traversent l’opéra (au I, en vieillards heureux, tranquilles ; au III, dans un final qui célèbre leur loyauté l’un à l’autre), affirment une indiscutable sincérité : les deux timbres s’accordent magnifiquement, préfigurant ce que seront bientôt les quatre duos extatiques et sublimes de Roméo et Juliette à venir.
Alexandre Duhamel comprend toutes les facettes du Jupiter souverain, venu sur terre pour constater la méchanceté des mortels ; en tombant sur les si accueillants Philémon et Baucis, le dieu des dieux modère son évaluation et éprouve même une sérieuse compassion pour ceux qui ont su l’abriter et le nourrir à la suite d’un tempête. Son air à la fin du I, a tout d’un Méphistophélès protecteur, magicien, d’un abandon quasi voluptueux : instance protectrice, suscitant un formidable tableau nocturne. A ses côtés le Vulcain de Éric Martin-Bonnet tire aussi la couverture en réussissant un portrait profond et vrai, celui d’un dieu trahi par son épouse et qui au III, sait s’émouvoir quand il mesure malgré les tentations, la fidélité des époux Philémon et Baucis – vrai sujet central de cet ouvrage poétique et philosophique.

La mise en scène de Julien Ostini cultive la simplicité et la clarté des tableaux : jeux de voiles au I ; puis de plus en plus dépouillée et vide quand il faut évoquer le palais de Jupiter où Philémon et Baucis rajeunis se réveillent en protégés du dieu. Rien ne peut égaler la richesse que procure un amour fidèle et partagé, pas même les stratagèmes d’un Jupiter séducteur, épris de la belle Baucis (III) : les plaisirs divins offrent un espace froid, illimité, inhumain. Quand au final, les cintres descendent, dévoilant le dispositif lumineux, les masques tombent … et l’essentiel paraît sur scène : l’omnipotence d’un amour fidèle. Gounod retrouve cette langue directe et franche de La Fontaine, sans rien perdre dans sa parure orchestrale, de la poésie originelle.

 

 

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Dans la fosse, veillant à la finesse générale, Benjamin Pionnier, très inspiré et en verve, a réécrit avec le metteur en scène, partie des dialogues parlées, émaillant le texte, de références à la politique contemporaine : essor de la vague « en marche », dieu facétieux évoquant un président « jupitérien »,… La palme de cette actualisation tout en douceur et subtilité, revient à la tenue de l’acte II, enfin révélée dans sa version intégrale : le tableau du chœur, celui des mortels qui se rebellent et protestent / défilent contre le pouvoir des dieux, se rapproche des meilleures situations cocasses d’un Offenbach, mais avec une élégance de ton propre à Gounod. La Bacchante révoltée, délirante de Marion Grange apporte ce grain de folie déjantée qui souligne chez Gounod, une facette inconnue. Véritable minidrame dans le drame principal, l’acte II pourrait se jouer indépendamment : ni Philémon ni Baucis ne sont concernés (il n’y paraissent pas). Mais sur le plan de l’écriture, Gounod se dépasse, au service d’un texte séditieux et contestataire (saluons l’implication et le travail du chœur de l’Opéra de Tours grâce auquel ce volet méconnu éblouit par sa force expressive). De quoi souligner l’apport du spectacle révélant un aspect méconnu du génie de Gounod.
La scène tourangelle confirme une belle appétence pour l’opéra romantique français : on se souvient ici même d’une remarquable production de Roméo et Juliette du même Gounod (avec Anne-Catherine Gillet en Juliette), et plus récemment de Lakmé de Delibes (avec Jodie Devos dans le rôle-titre). Distributions intelligentes, mises en scène claires et inventives, approches souvent lumineuses voire raffinées… l’Opéra de Tours s’engage avec mérite dans la défense de notre patrimoine romantique. La réussite est totale.

 

 

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Compte rendu critique, opéra. TOURS, le 16 février 2018. GOUNOD : Philémon & Baucis, 1860, recréation, version intégrale en 3 actes. Benjamin Pionnier, direction. Julien Ostini, mise en scène.

 

A l’affiche les 16, 18 et 20 février 2018. Prochaine production lyrique à l’Opéra de Tours : L’Elisir d’amore de Gaetano Donizetti (Samuel Jean, direction), les 16, 18 et 20 mars 2018.
http://www.operadetours.fr/l-elisir-d-amore

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VOIR
Notre teaser vidéo de Philémon et Baucis de Gounod à l’Opéra de Tours
Notre reportage vidéo de Philémon et Baucis de Gounod à l’Opéra de Tours, entretiens avec Benjamin Pionnier (directeur de l’Opéra de Tours, directeur musical), Julien Ostini, Norma Nahoun, Sébastien Droy…

 

Illustrations : 1 : © Opéra de Tours / Marie Pétry 2018 – 2 et 3 : © studio CLASSIQUENEWS.COM

 
 
 

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