Rares sont les occasions d’entendre les Szenen aus Goethes Faust de Robert Schumann, et qui plus est dans la foulée du Faust de Gounod proposé par le Grand Théâtre de Genève. Si Schumann offre une version bien plus sobre que la Damnation de Faust de Berlioz, c'est qu'on sent chez le compositeur un attrait pour le sacré qui l'amène à traiter le sujet plus comme un oratorio théâtral, à l’instar de l’Elias de Mendelssohn, qu’une pièce opératique. 

Œuvre exigeante, elle requiert un vaste orchestre, de nombreux solistes, un grand chœur symphonique et un chœur d’enfants. La partition contient pas moins de vingt rôles, et ce sont treize solistes que nous découvrons ce soir sous la baguette attentive d’Ira Levin, chef remplaçant de Peter Schneider souffrant.

Dès les premiers instants on ressent la trame dramatique qui sous-tendra toute la pièce. L’Orchestre de la Suisse Romande sonne bien, les équilibres sont préservés d’un bout à l’autre de l’œuvre, même si on note parfois un traitement massif de la pâte sonore s'attachant plus au grand élan général qu'au traitement du détail.

Du plateau vocal, on retiendra particulièrement la soprano Genia Kühmeier qui offre un « Ach neige, du Schmerzensreiche » poignant, illuminé par une voix saine et soyeuse. L’Esprit malin incarné par Albert Dohmen impressionne, lançant son « Wie anders, Gretchen, war dir’s » hiératique dans sa loge : le timbre est magnifique, le texte superbement exposé, le legato superbe. Et quel bonheur d’entendre la reprise du « Dies Irae » par le chœur du Grand Théâtre de Genève dont on a l’habitude de louer l’homogénéité, le velours des timbres, le bonheur audible de souligner le drame et la théâtralité. On est touché également par les voix célestes de la Maîtrise du Conservatoire Populaire de Musique de Genève, malgré un son assez faible, souvent couvert par la masse orchestrale.

La deuxième partie est à l’apaisement, avec son lever de soleil splendide et la belle reprise d’Ariel campé par le ténor Bernard Richter. Malgré quelques aigus passés en force, son timbre offre un médium beau et riche.

Irradiant la soirée, Markus Werba offre une remarquable prestation du Faust que l'on ne peut que louer. Le soin avec lequel il colore ses interventions permet d’apprécier l’ensemble des émotions du rôle. Dans « Die Nacht scheint tiefer », la voix se fait héroïque, portée par un métal superbe et auréolée d’une sombre ambiance orchestrale. Son « Ein Sumpf zieht am Gebirge hin » est d’une douceur infinie portée par un legato superbe, relayé par un orchestre soyeux à loisir – signalons à ce titre son « Hier ist die Aussicht frei », ensoleillé par le hautbois séraphique de Nora Cismondi.

En troisième partie, on reste sous le charme de la belle intervention de Lionel Cottet, violoncelle solo de la soirée, lors de la transfiguration de Faust. Soulignons la très belle voix du Pater Profundus de Sami Luttinen, ainsi que Le Souci incarné par Bernarda Bobro et Le Manque de Katija Dragojevic qui brillent particulièrement de leur voix irradiantes.

Et si une joie de bon aloi illumine le final, c’est sereinement que s’achève l’œuvre avec le texte du Chorus mysticus louant l’Eternel Féminin : « Das Ewig-Weibliche Zieht uns hinan ». Une conclusion dans l’air du temps.

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