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Les «Scènes de Faust», un combat des mots et des notes

La coproduction de l’OSR et du Grand Théâtre de Genève met à l’honneur le rare oratorio profane de Schumann, écartelé entre texte et musique

Genia Kühmeier (Gretchen) et Markus Werda (Faust) composent un beau couple vocal qu'on espère revoir sur la scène du Grand Théâtre de Genève. — © Magali Dougados
Genia Kühmeier (Gretchen) et Markus Werda (Faust) composent un beau couple vocal qu'on espère revoir sur la scène du Grand Théâtre de Genève. — © Magali Dougados

Certaines œuvres sont des cas. Les Szenen aus Goethes Faust de Schumann en sont un. Goethe avait conçu deux versions du sujet qui a accompagné sa vie. Leurs créations se situent à une trentaine d’années l’une de l’autre. La présentation publique de l’ultime pièce, en 1832, sera posthume. L’auteur ne l’aura donc jamais connue.

Schumann passe une bonne décennie sur la traduction musicale du diptyque goethien. Le compositeur meurt avant d’assister à l’interprétation intégrale de sa partition, révélée en 1862 à Cologne. Cette genèse longue, complexe et contrariée explique sans doute la rareté des Scènes du Faust de Goethe.

D’autant que Schumann a composé les trois parties et l’ouverture à rebours sur la trame poétique originelle. En réunissant dans une chronologie inversée des éléments disparates, il offre pourtant une œuvre puissante et charpentée dont on savoure la construction solide, les influences musicales harmonieusement digérées et la générosité créatrice formidablement canalisée. Sur le plan littéraire, voilà une autre affaire.

Un lâcher prise nécessaire

Le plus délicat? Goethe reste un monde en soi. Schumann l’avouait: «Il faut être Goethe pour comprendre Goethe.» Observez le public, écartelé entre la traduction littérale du programme et les surtitres simplifiés au-dessus de la scène, et vous saisirez l’inconfort de l’exercice. «C’est incompréhensible», lâche une auditrice désemparée. L’idéal est donc de lâcher prise.

Pour ceux qui y parviennent, le plaisir se trouve dans le traitement orchestral et vocal finement articulé par Schumann, sur une expressivité saisissante. On salue le remplacement au pied levé du chef Ira Levin, qui mène à bon port cette aventure prévue avec Peter Schneider, malade. Mais on regrette son défaut de différenciation des plans et des couleurs, une certaine mollesse dans les traits et une narration sans grande fantaisie.

L’OSR ne manque ni d’énergie ni de plasticité pour rendre les éclats et les finesses, mais la tonalité générale demeure monochrome. Quant au chœur du Grand Théâtre et à la Maîtrise du CPMDT, ils équilibrent bien leurs interventions.

Du côté des voix, celles du trio principal se situent à belle hauteur. On ne présente plus Albert Dohmen, basse toujours royale (Mephistofélès/L’Esprit malin). La soprano Genia Kühmeier (Gretchen sensible au timbre lumineux) et le baryton Markus Werba (Faust héroïque à la voix poivrée et dense) font leur apparition à Genève. Ils devraient y revenir. La voix claire de Bernard Richter (Ariel/Pater Ecstaticus/Ange accompli) est un atout que le ténor devrait préserver d’une surexposition trop poussée face au reste de la distribution, d’une grande qualité.

Victoria Hall les 27 février et 3 mars à 19h30 (abonnement du Grand Théâtre), le 1er mars à 20h (abonnement de l’OSR). Rens. 022 322 50 50, www.geneveopera, 022 807 00 00, www.osr.ch