Chroniques

par gilles charlassier

Peter Grimes
opéra de Benjamin Britten

Opéra de Monte-Carlo
- 28 février 2018
Jan Latham-Koenig joue Peter Grimes (1945), l'opéra de Benjamin Britten
© alain hanel

Coproduite avec Bonn où elle fut présentée au printemps 2017 avant d'investir la salle Garnier de Monte-Carlo, la lecture que José Cura propose du Peter Grimes de Britten – dans laquelle il chante le rôle-titre – ne se circonscrit pas aux embruns et à la solitude maudite du marin. Certes, la scénographie qu'il signe avec Silvia Collazuol ne renie pas un certain pragmatisme réaliste, rehaussé par la fragile chaleur paille de chandelles que distillent les lumières réglées avec la collaboration de Benoît Vigan, sans que cette illustration n'en devienne coupable. La rotation du plateau fait découvrir les facettes d'un décor unique où le promontoire du phare et de la cabane du pêcheur est adossé à une maison basse, servant de taverne ou d'église, selon les tableaux – semblables sanctuaires pour la foule humaine, urticante à la rudesse de Peter Grimes.

Mais l'efficacité du dispositif sert d'abord un éclairage social, plus qu'une abstraction poétique à laquelle certains seraient tentés de réduire l'opus de Britten, induits par les interludes évocateurs du mystère des eaux. Même l'économie du Prologue, où Grimes apparaît seul devant une toile bleu-gris comme la mer sous la lune et sur laquelle sont projetées les ombres du tribunal, magistrats et audience réduits à leurs voix comme dans une rumination mentale, façonne les prémisses d'une interprétation sensible à la complexité psychologique du personnage et des situations qui restitue la dialectique entre la nature et la société, à l'œuvre dans la partition comme dans le livret. Il n'est pas nécessaire de s'affranchir de la lettre pour en faire vivre l'esprit. Point de transposition, ni d'alibi de modernité : le présent travail s'attache d'abord à mettre en valeur les incarnations.

Dans le rôle-titre celle du metteur en scène défie peut-être, par la latinité non dissimulable d'une vocalité où affleure un physique engagement affectif, de putatifs archétypes stylistiques. La sincérité du jeu met à nu l'ambivalence de cet homme marginal, brutal et à fleur de peau, rejeté par la communauté, sans céder à quelque manichéisme simplificateur. José Cura constitue assurément le pivot autour duquel s'articulent le drame et le reste d'une distribution où se distinguent des interprètes émérites.

Ann Petersen s'appuie sur la plénitude des moyens et de la ligne pour magnifier la pitié d'Ellen Oxford, la maîtresse d'école. Le Balstrode de Peter Sidhom retient l'attention par un timbre dense, à la rocaille calibrée, et une puissance qui ne s'abîme jamais dans le sommaire. La gouaille de Tantine, propriétaire de l'auberge Au Sanglier, revient à une Caroline Wilson à la voix généreuse. Micaëla Oeste et Tineke Van Ingelgem font deux nièces qui se complètent sans hiatus. Michael Colvin résume la rigueur défiante du méthodiste Bob Boles quand Brian Bannatyne-Scott affirme la rondeur de Swallow. Philip Sheffield revêt la défroque du révérend Adams, aux côtés de l'apothicaire Ned Keene, dévolu à Trevor Scheunemann. Christine Solhosse assume les vapeurs de Mrs. Sedley. Mentionnons encore les interventions de Michael Druiett (Carter Hobson) et Alain D'Ayral (Doctor Crabbe), sans oublier l'apprenti John, confié à Yoachim Amato, diaphane et forcément touchant.

On saluera le chœur, préparé avec minutie par Stefano Visconti, et qui se montre à la hauteur du personnage collectif élaboré par Britten, sans trop s'attarder sur la direction robuste de Jan Latham-Koenig à la tête d'un Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo plus consistant que suggestif.

GC