Opéra
Karine Deshayes offre sa première Semiramide à St-Etienne

Karine Deshayes offre sa première Semiramide à St-Etienne

06 March 2018 | PAR Elodie Martinez

Du 2 au 6 mars, l’Opéra de St-Etienne reprend la production de Semiramide créée à l’Opéra de Lorraine, à Nancy, la saison dernière, dans la mise en scène de Nicola Raab. Salome Jicia incarnait alors la reine de Babylone face au Arsace de Franco Fagioli et à l’Assur de Nahuel di Pierro. Dans cette repris, la distribution a entièrement été revue et est marqué par la prise de rôle de Karine Deshayes qui continuent de convaincre dans des rôles de soprano que lui permet l’évolution de sa voix. En effet, après Armida et Alceste en 2017, la cantatrice poursuit l’exploration de nouveaux rôles dans lesquels elle ne cesse de faire l’unanimité.

La mise en scène de Nicola Raab convainc pour sa part un peu moins. Si l’esthétique et les idées esquissées au départ sont plaisantes, elles tournent finalement à vide faute d’avoir été davantage approfondies, sans pour autant gâcher la soirée. En effet, la metteuse en scène propose de jouer avec la notion de théâtre dans le théâtre, rappelant que “le monde est un théâtre”, et offre deux espaces distincts sur le plateau. Tout d’abord, côté cour, une scène surélevée qui s’apparente ici à la scène politique, lieu de représentation où les entrée de la reine sont toujours travaillées (elle monte depuis le dessous de scène). Ensuite, côté jardin, les coulisses du théâtre (avec des cintres qui montent et descendent ainsi qu’un escalier) mais aussi du pouvoir où se trament ce que l’on ne voit pas en surface et où les secrets circulent. C’est ici que seront révélées la trahison de Semiramide et d’Assur ainsi que la véritable identité d’Arsace. Il n’est alors pas anodin que suite à la dispute entre la reine et Assur, la première empêche le second de monter sur scène alors qu’elle vient de l’évincer du pouvoir en nommant Arsace comme son futur époux. Il est également intéressant de noter que, durant toute la partie portant sur ces révélations, autrement dit sur “l’envers du décor” de l’histoire, le rapport entre le public et la scène se trouve inversé : l’avant-scène devient l’arrière, les lumières éclairant le devant sont alors aussi présentes derrière, et les personnages saluent dos au public de la salle. Poussant cette idée, Arsace et Semiramide se présentent avec leurs panier et crinoline (l’armature portant le bas de leur costume) non recouverts. Enfin, notons également l’immense miroir qui monte et descend, symbolisant Nino et ses manifestations, ainsi que son désir de mettre les protagonistes face à eux-mêmes. Assur brisera finalement ce miroir dans sa folie, refusant de se voir à travers ce miroir, tandis que Semiramide sera tuée à travers ce miroir, victime réclamée par Nino.
Les idées de cette mise en scène nous semblent donc intéressantes, mais la durée de l’opéra (presque quatre heures, entracte inclus) n’est pas comblée qui manquent peut-être d’approfondissement ou de lisibilité

Côté distribution, il faut bien avouer qu’un déséquilibre important se fait entre d’une part Assur et Idreno, et d’autre part Semiramide et Arsace. En effet, Manuel Nunez-Camelino campe un Idreno à la projection extrêmement faible pour un ténor et l’on est finalement pas déçu qu’il ne tente pas le second air de son personnage. Pourtant, du peu entendu, la voix est assez belle et le jeu intéressant, délicat dans ce costume qui ne peut que rappeler Louis XIV. Peut-être que conscient des limites de sa voix, le chanteur n’a pas osé pousser davantage, mais le résultat final reste vocalement décevant, surtout pour un ténor. Daniele Antonangeli est pour sa part un Assur qui manque de jeu, de prestance, de noirceur, de profondeur et qui vocalement offre une prestation plutôt inégale. La tête souvent rentrée dans la poitrine et baissée, la projection n’est pas toujours au rendez-vous alors que la soirée débutait pourtant bien. Heureusement, Thomas Dear sauve l’honneur masculin dans le rôle d’Oroe puisqu’il donne à voir un personnage noble et digne, et à entendre une voix profonde, projetée, descendant confortablement dans les graves.

Le plateau féminin est pour sa part bien plus homogène, d’abord avec celle qui était très attendue, à savoir Karine Deshayes dans le rôle-titre. La cantatrice poursuit ainsi son exploration des héroïnes rossiniennes et parvient à étonner par les aigus qu’elle atteint sans difficulté apparente ainsi que par l’intelligence de l’interprétation. Le souffle est toujours présent, et ses graves sont bien sûr royaux pour ce rôle. Aude Extremo campe quant à elle un Arsace à la ligne de chant tout aussi claire et agile, finalement moins féminin que celui de Franco Fagioli : ici, Arsace reste un jeune homme guerrier avant que d’être un amant ou un fils fragile. Cela ne l’empêche pas pour autant de laisser voir cette fragilité lorsqu’il comprend que c’est sa mère qu’il a tué, laissant également sentir toute la culpabilité qu’il ressent alors que s’approchent la couronne et sa bien-aimée Azema (Jennifer Michel) dont la voix légère séduit malgré sa courte partition.

Une soirée finalement mitigée mais dont on ressort malgré tout conquis par les prestations féminines et qui marquent une nouvelle prise de rôle fort réussie pour Karine Deshayes que l’on a hâte de découvrir dans la poursuite de son exploration de nouveaux rôles.

© Cyrille Cauvet

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Elodie Martinez
Après une Licence de Lettres Classiques et un Master en Lettres Modernes, Elodie découvre presque par hasard l'univers lyrique et a la chance d'intégrer en tant que figurante la production du Messie à l'Opéra de Lyon en décembre 2012. Elle débute également une thèse (qu'elle compte bien finir) sur Médée dans les arts en France aux XVIIe et XVIIIe siècles, puis, en parallèle d'un stage dans l'édition à Paris, elle découvre l'univers de la rédaction web et intègre l'équipe de Toute la culture où elle participe principalement aux pages d'opéra, de musique classique et de théâtre. Elle a aussi chroniqué un petit nombre de livres et poursuit l'aventure une fois rentrée sur Lyon. Malheureusement, son parcours professionnel la force à se restreindre et à abandonner les pages de théâtre. Aujourd'hui, elle est chargée de projets junior pour un site concurrent axé sur l'opéra, mais elle reste attachée à Toute la culture et continue d'être en charge de l'agenda classique ainsi que de contribuer, à moindre échelle, à la rédaction des chroniques d'opéra.

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