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Lucia incandescente à Bordeaux

Lucia incandescente à Bordeaux

07 April 2018 | PAR Gilles Charlassier

L’Opéra de Bordeaux présente une nouvelle production de Lucia di Lammermoor, avec, dans le rôle-titre, une Venera Gimadieva incandescente, et, dans la fosse, Pierre Dumoussaud, assistant de Paul Daniel et Marc Minkowski lauréat de la première édition du concours de chefs d’orchestre d’opéra à Liège en août dernier.

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Pour réussir une Lucia di Lammermoor, il faut une bonne soprano. Ainsi pourrait-on résumer l’équation quand on met à l’affiche le chef-d’oeuvre de Donizetti. Et quand la soliste tombe malade, c’est le guignon, comme a pu le vivre l’Opéra national de Bordeaux juste avant la première. Mais parfois, on a mieux qu’un lot de consolation :Venera Gimadieva, qui chante actuellement le rôle à Dresde, et le connaît sur le bout des cordes pour l’avoir déjà incarné, entre autres en France à Rouen, Limoges et Reims en 2015, a pu remplacer Georgia Jarman initialement prévue. Le public bordelais a ainsi découvert celle que l’on a parfois un peu hâtivement présentée comme la nouvelle Anna Netrebko. Car si la jeune russe affiche au moins autant de glamour que son aînée au même âge, sa voix agile et aérienne la destine sans doute à un répertoire légèrement différent. Se glissant dans la peau de l’héroïne de Donizetti – et la mise en scène, qu’elle a dû assimiler en moins de vingt-quatre heures – avec un instinct admirable, d’une belle justesse, elle ne se contente pas de mettre en valeur la souplesse et l’élégance de sa ligne vocale. Elle sait moduler une gradation émotionnelle jusqu’à la scène de la folie, sans altérer la pureté de son timbre jusqu’à l’éclat adamantin d’un aigu jamais insolent. En somme, l’essence du bel canto romantique.
Le reste de la distribution, qui fait honneur aux chanteurs français, que d’autres maisons snobent parfois au nom de l’aura de l’international, se révèle également d’excellente tenue. Enrico qui erre sur le bord de scène au lever du rideau, comme le spectateur du désastre à venir qu’il aura causé, Florian Sempey se confirme comme l’un des meilleurs barytons de sa génération. A la fois puissant et rond, d’une belle richesse de couleur et de texture, il sait équilibrer la rudesse du personnage et la saveur mélodique d’un chant précis que l’on retrouve dans le Raimondo idéalement paternel de Jean Teitgen. Julien Behr résume l’impulsivité d’Edgardo, avec une fougue lyrique sympathique compensant une émission parfois un peu serrée. Albane Carrère donne une appréciable consistance à Alisa, la suivante de Lucia, que l’on confie souvent à des mezzos de caractère. Mentionnons encore l’apparition fort méritante de Thomas Bettinger en Arturo, ainsi que celle de Paul Gaugler en Normanno. Préparés par Salvatore Caputo, les choeurs assument leur présence dans le drame.
A la tête de l’Orchestre national Bordeaux Aquitaine, Pierre Dumoussaud retient avec intelligence les effusions de la partition. La sonorité un peu sèche de l’ouverture tire parti des qualités acoustiques du Grand Théâtre, et témoigne d’une lecture attentive aux pupitres qui réserve au plateau l’expression des sentiments, dans le respect de l’écriture de Donizetti. La question de l’authenticité ne se résume à la facture instrumentale. Quant à la mise en scène de Francesco Micheli, créée à Venise l’an dernier, elle réussit la synthèse entre l’évocation historique et la perspective psychologique. Avec la complicité des décors de Nicolas Bovey, masse de meubles hantées de fantômes comme l’intrigue tirée de Walter Scott, plongée dans un trouble en demi-teintes par les lumières de Fabio Barettin, le spectacle n’a pas besoin du premier degré réaliste pour s’immerger dans les rivalités ancestrales qui feront vaciller la fragilité de Lucia comme les calculs politiques d’Enrico. Dessinés par Alessio Rosati, les costumes confirment cette fidélité à la sève intemporelle de l’ouvrage.

Lucia di Lammermoor
, Donizetti, mise en scène : Francesco Micheli, Opéra national de Bordeaux, du 3 au 11 avril 2018

©Vincent Bengold / Opéra National Bordeaux

Infos pratiques

Musée de l’illustration jeunesse
Le Nez Rouge Face au 13, Quai de l’Oise, 75019 Paris
David Rofé-Sarfati
David Rofé-Sarfati est Psychanalyste, membre praticien d'Espace Analytique. Il se passionne pour le théâtre et anime un collectif de psychanalystes autour de l'art dramatique www.LautreScene.org. Il est membre de l'APCTMD, association de la Critique, collège Théâtre.

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