La «donna del lago», c'est Emma Bovary
Dans la vision de Max Emmanuel Cencic, l'opéra de Rossini devient le fantasme d'une bourgeoise frustrée. Vertigineuse mise en abyme.
Quand un contre-ténor expert en fioritures et ornementations se met à la mise en scène, la virtuosité vocale contamine tout le spectacle. À l'Opéra de Lausanne, dans «La donna del lago» de Rossini, Max Emanuel Cencic va très loin dans la superposition des grilles de lecture. Le parti pris du contre-pied systématique du livret est un tic courant des metteurs en scène et aura toujours l'heur d'agacer une partie du public. Cencic emporte cependant les spectateurs dans sa combine, soutenue il est vrai par une perfection musicale de chaque note et de tous les interprètes, George Petrou en tête.
Rien de ce qui n'est (sublimement) chanté n'est pris au premier degré, tout est décalé, ridiculisé, déniaisé par un double artifice. En un tour de passe-passe, une bourgeoise frustrée lisant «La dame du lac» de Walter Scott voit le tableau fantastique au-dessus d'elle s'animer; elle y pénètre en rêve et devient Elena, l'héroïne de «La donna del lago». Mais ce qu'on voit dans ce fantasme, plutôt que l'Écosse giboyeuse et guerrière du XVIe siècle, ce sont les salons noir et or d'un bordel du Second Empire, où les demoiselles de compagnie en tenues impudiques et leurs riches clients arborent d'étranges ramures.
Dans cet antre du luxe et de la luxure signé Bruno de Lavenère (décors, costumes) et David Debrinay (lumières), Elena (Lena Belkina, révélation) libère ses pulsions sensuelles. Elle cède aux avances d'un Uberto aux allures de Napoléon III (suave Daniel Behle) mais tient tête au prétentieux Rodrigo (Juan Francisco Gatell, ténor insolent) que son père (Daniel Golossov) lui impose. Et surtout, elle en pince pour le simple valet Malcolm (Max Emanuel Cencic), seul personnage franc et sain de ce savant dévergondage.
Le retour à la réalité sera cruel, et rappelle Emma Bovary découvrant «Lucia di Lammermoor»: «Ah! Si, dans la fraîcheur de sa beauté, avant les souillures du mariage et la désillusion de l'adultère, elle avait pu placer sa vie sur quelque grand cœur solide, alors la vertu, la tendresse, les voluptés et le devoir se confondant, jamais elle ne serait descendue d'une félicité si haute. Mais ce bonheur-là, sans doute, était un mensonge imaginé pour le désespoir de tout désir.» L'ironie de Cencic sur Rossini est aussi ravageuse que Flaubert.
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Lausanne, Opéra Me 25 avril (19 h), ve 27 (20 h), di 29 (15 h). Rens.: 021 315 40 20
www.opera-lausanne.ch
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