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A Lausanne, une déroutante «Donna del Lago»

Le contre-ténor Max Emanuel Cencic chante et met en scène l’opéra de Rossini dans une production spectaculaire mais décousue

L’abondance d’images et de propositions de Max Emanuel Cencic brouille les pistes de la «Donna del Lago» de Rossini. — © Alan Humerose
L’abondance d’images et de propositions de Max Emanuel Cencic brouille les pistes de la «Donna del Lago» de Rossini. — © Alan Humerose

Baroque, c’est son monde. Gothique et onirique, c’est son choix esthétique. Entre ces trois pôles, le contre-ténor Max Emanuel Cencic écartèle la Donna del Lago de Rossini dans des univers qu’il force à cohabiter. Quelques bonnes idées sont à saluer, mais la lecture générale se révèle brouillonne et l’insistance du décalage finit par peser.

La nouvelle production lausannoise ne manque pourtant pas de courage. C’est la maîtrise et la justification narratives qui pèchent, le traitement visuel spectaculaire ne suffisant pas à rassembler les intentions, ni à surmonter les difficultés de l’ouvrage. Le sentiment constant que la musique ne fait qu’accompagner l’image domine rapidement.

Un terrain glissant

Max Emanuel Cencic est un fidèle de la scène lausannoise où il a abondamment chanté, et mis en espace Siroe de Johann Adolf Hasse il y a deux ans. Sa voix s’épaississant avec le temps, le chanteur se tourne aussi vers la mise en scène. Cumuler les deux disciplines était un sacré défi. Rien d’étonnant donc à ce que le résultat déroute.

L’idée d’un tableau dans lequel pénètre Elena, comme en rêve, et dont elle s’extrait finalement pour retrouver la réalité, est un procédé habile. Mais transformer la conclusion, qui voit la très bovarienne héroïne se réfugier dans son livre (The Lady of the Lake de Walter Scott, dont est tiré le livret) pour supporter sa vie bourgeoise avec Rodrigo (pourtant mort dans l’opéra…), voilà qui oriente la production sur un terrain glissant.

D’autant qu’entre le début et la fin, l’action se déroule dans un lupanar baroque. Une orgie masquée d’animaux à cornes où s’accumulent un bestiaire fantastique, des déshabillés très dénudés ou des projections de nature et de femmes lascives: on s’y perd. Même si le décor et les costumes de Bruno de Lavenère sont magnifiques.

Confusion débordante de désirs

Et la musique dans cette confusion débordante de désirs fantasmés? Solide, George Petrou mène l’OCL avec vitalité et navigue adroitement dans les méandres seria d’un Rossini tiraillé entre la virtuosité, la légèreté et le drame. Quant aux hérissements vocaux qui parcourent la partition, les solistes (dont quatre prises de rôle) les affrontent vaillamment, dans des tensions qu’on sent encore vives à la première, mais qui devraient s’assouplir au fil du spectacle.

Max Emanuel Cencic (Malcolm héroïque), Juan Francisco Gatell (Rodrigo éclatant) et Daniel Behle (Uberto-Giacomo V fougueux) conquièrent avec bravoure leurs acrobatiques suraigus. Lena Belkina (Elena lyrique) assure remarquablement son air final après des débuts très vibrés, et la noirceur cendrée de Daniel Golossov dessine un Duglas d’Angus en demi-teintes. Quant à Tristan Blanchet (Serano) et Delphine Gillot (Albina), ils composent des seconds rôles de premier ordre devant Aurélien Reymond-Moret (Bertram).

Opéra de Lausanne les 25, 27 et 29 avril. Rens. 021 315 40 20, www.opera-lausanne.ch