Chroniques

par laurent bergnach

La donna del lago | La dame du lac
opéra de Gioachino Rossini

Opéra de Lausanne
- 25 avril 2018
Max Emmanuel Cenčić met en scène "La donna del lago" de Rossini à Lausanne
© alan humerose

Parmi les romantiques britanniques de sa génération, Walter Scott (1771-1832) s’avère le plus connu, encore de nos jours, sans doute parce c’est « un conservateur qui a eu l’art de la simplification » (dixit le philosophe Dorian Astor). Pas de panthéisme mystique chez le père du roman historique – Waverley (1814), Ivanhoé (1819), etc. – mais une nature sauvage qui sert de simple décor à des sentiments qui le sont tout autant. Dans The Lady of the lake (1810), par exemple, il est aisé pour la jeune Ellen Douglas, quittant sa frêle chaloupe, de remarquer les yeux vifs du chasseur perdu, « également prompts à s’enflammer pour l’amour ou à brûler du feu plus terrible de la colère ».

Avec sa conception gluckiste de l’orchestre, sa virtuosité vocale héritée des castrats campanien, Gioachino Rossini (1792-1868) présente lui aussi un romantisme de concession, à mille lieues des Français fascinés par le monde ossianique et des premiers amateurs de tempête [lire nos critiques du CD Uthal et du DVD Fierrabras]. Pourtant, le directeur musical du Teatro San Carlo (Naples) pressent le potentiel de l’Écossais, et, dans une situation d’urgence, adapte avec Andrea Leone Tottola, librettiste des théâtres royaux, ce que d’aucuns considèrent comme « un mauvais poème » (Stendhal). Les six journées célébrant la richesse géographique et historique des Trossachs du XVIe siècle deviennent deux actes créés le 29 octobre 1819, que met aujourd’hui en scène Max Emmanuel Cenčić, assisté de Constantina Psoma. Déjà aux commandes d’un récent Siroe [lire notre entretien], le contre-ténor explique pourquoi le rideau se lève sur un salon bourgeois, avec Elena livre en main, happée par la contemplation d’un tableau :

« toute l’histoire se déroule alors sous la forme d’un rêve freudien où le désir sexuel inconscient d’Elena, en proie au vertige d’historiettes amoureuses infantiles, se heurte à la réalité d’un mariage forcé que son père l’oblige à accepter, sans l’ombre d’une révolte. Son fantasme lui permet de découvrir ses aspirations et ses désirs profonds. À la fin de l’opéra, elle sort de la peinture et retrouve sa vie étouffante et frustrante, heureusement nourrie d’art et de littérature » (brochure de salle).

Il y a peu, dans cette même salle, Stefano Poda enfermait dans la folie l’héroïne de Lucia di Lammermoor [lire notre chronique du 4 octobre 2017]. Ici, l’on offre à l’hystérique Elena un lupanar où s’épanouissent le masque et la cravache – de style Empire ? Au début du XIXe siècle, rappelons que le royaume de Naples est sous influence française. Comme les costumes soignés, ce luxueux décor est signé Bruno de Lavenère. Derrière les colonnades noires et or, les tissus verdâtres, des vidéos d’Étienne Guiol occupent en continu le fond de scène, avec des fondus enchaînés aux couleurs chaudes évoquant le paysage romantique (montagnes, cascades, forêts) et une sensualité païenne (cheval, hommes nus). Ils disparaissent pourtant lors des airs de Malcolm – mise en valeur de l’amoureux véritable ou d’un Cenčić cabotin ? Cependant, le duo aux bulles de savon, une discussion militaire autour d’une table de jeu et la bataille au ralenti sont les rares images que nous retiendrons d’une production attachante mais limitée.

Avec Lena Belkina (rôle-titre), mezzo-soprano chaleureux aux aigus faciles, Max Emmanuel Cenčić forme un couple équilibré, soucieux de vocalises impeccables. D’autres confrères sont moins convaincants, tels Daniel Behle (Uberto) qui manque d’abord de couleur puis de soutien, ou Juan Francisco Gatell (Rodrigo), un ténor brillant et souple mais de moins en moins fiable. Daniel Golossov (Duglas d’Angus) est une basse efficace. Parmi des rôles secondaires qui ne déméritent pas, Delphine Gillot (Albina), Aurélien Reymond-Moret (Bertram) et Tristan Blanchet (Serano), ce dernier a notre préférence, avec sa belle santé. Préparé par Antonio Greco, le Chœur maison est acéré à souhait, tandis que l’Orchestre de Chambre de Lausanne est conduit par George Petrou, chef d’abord prudent avant d’afficher une tendre vivacité.

LB