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«King Arthur», une couronne sauvée par la musique

Grigory Shkarupa (basse) en Génie du Froid à l'acte III, dans une des scènes les plus abouties de la production.

Comment reconstituer une œuvre dont les traits originels se sont délités, victimes des morsures du temps? Comment s'attaquer à une pièce dont le visage est si outrageusement double, avec sa part consistante de théâtre parlé et sa dose de théâtre chanté? En plongeant son regard dans les partitions de «King Arthur» de Henry Purcell et en malaxant la trame du livret de John Dryden, metteurs en scène et hommes de musique acceptent de fait la confrontation peu aisée avec un casse-tête de taille. Celui qu'offre un ouvrage résultant aujourd'hui d'une fragile compilation de scènes, toutes issues de sources disparates et formant un matériau scénique qu'il faut nécessairement réordonner pour conférer au tout cohérence et logique.

Une forêt en 2D

Tout cela pousse à considérer chaque reprise de ce bijou baroque – et c'est le cas à l'Opéra des Nations – comme une véritable recréation. Le chef d'orchestre Leonardo García Alarcón et le metteur en scène Marcial Di Fonzo Bo ont donc procédé dans ce sens, en travaillant tout particulièrement les parties récitées. Ici, l'ensemble Cappella Mediterranea apporte un habillage musical inédit et plutôt bienvenu eu égard à la longueur des séquences récitées. L'accompagnement en question est le fruit d'emprunts heureux à d'autres pièces très peu connues de Purcell («Abdelazar», «Dioclesian», «La femme vertueuse»). Le résultat est probant: une unité esthétique se dégage ainsi au fil des cinq actes et la césure entre parlé et chanté semble pour le coup moins abrupte.

La Cappella Mediterranea brille par ailleurs dans toute la production, avec des textures étonnamment arrondies et soyeuses, auprès notamment de ces archets d'époque qu'on conçoit plus râpeux et saignants. Certes, les choix des tempi, parfois trop soutenus, interrogent. Cependant, on est conquis par le résultat d'ensemble, par ce continuo si élégant, par ces bois et ces cuivres si précis et homogènes. Le volet musical, il faut le dire, est de loin le plus abouti de la production. Constat que renforce la distribution vocale, qui, rappelons-le, ne concerne que les rôles secondaires de la pièce.

Au bonheur des oreilles s'ajoute celui des yeux, irrigués par des tableaux à la beauté plastique certaine. La scénographie de Catherine Rankl donne à voir un plateau qui, à défaut de traduire le merveilleux et le magique auxquels on aurait pu s'attendre, brosse un paysage cohérent. Ce «King Arthur» baigne ainsi dans les forêts de cartons. Il se décline presque entièrement en 2D, armé d'éléments de décor défilant (quand ils ne sont pas introduits par des techniciens de plateau) comme dans un livre pour enfants contenant des éléments et des personnages amovibles en papier. On se souviendra longtemps de la scène des nymphes du Fleuve vénérable se baignant avec le roi Arthur. Et on gardera surtout le souvenir de l'apparition du Génie du Froid (l'excellent Grigory Shkarupa) en début du IIIe acte. Des minutes d'une puissante féerie.

Sur un ton démonstratif

La tranche consistante de théâtre, elle, ne réserve hélas aucun enchantement de cette taille. On est au contraire surpris de l'étroitesse du jeu des rôles principaux, dans certains cas (le rôle-titre, incarné par Simon Guélat, et celui d'Emmeline, endossé par Laure Aubert), si académique, voire scolaire; si peu habité et si inutilement véhément dans les tons des voix. La qualité très perfectible de la direction étonne d'autant plus qu'elle est signée par une figure comme Marcial Di Fonzo Bo, qu'on a connu comédien inoubliable (aux ordres de Matthias Langhoff notamment) et metteur en scène bien plus inspiré.

Hélas, dès la scène inaugurale – apparition d'Arthur et de ses acolytes dans des accoutrements très Monty Python – on campe dans le surjeu, dans un registre démonstratif quelque peu vain. Cela s'estompe dès le troisième acte, avec… la réduction de la part théâtrale. Alors oui, le salut de la couronne de ce roi doit presque tout à la musique.

«King Arthur, or the British Worthy», de Henry Purcell, Opéra des Nations, jusqu'au 9 mai. Rens. www.geneveopera.ch