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«King Arthur», l’éblouissement

Le semi-opéra de Purcell trouve à Genève une lecture théâtrale aussi étonnante que jouissive.

«L’air du froid», rendu célèbre par Klaus Nomi, est livré à Genève avec force par la basse Grigory Shkarupa, dans un magnifique univers enneigé sur fond de miroir amplificateur. — © Carole Parodi / GTG
«L’air du froid», rendu célèbre par Klaus Nomi, est livré à Genève avec force par la basse Grigory Shkarupa, dans un magnifique univers enneigé sur fond de miroir amplificateur. — © Carole Parodi / GTG

Il se passe quelque chose de rare sur la scène de l’ODN. Une alchimie idéale entre deux mondes et deux artistes: le théâtre de John Dryden, relu par Marcial Di Fonzo Bo, et la musique de Purcell, recomposée par Leonardo Garcia Alarcon. Pourquoi leur rencontre est-elle si étonnante? Parce que le tandem parvient à vivifier un genre de théâtre musical féerique, à la fois fidèle au texte et résolument original.

Le semi-opéra King Arthur est souvent conçu comme un puzzle dans lequel les metteurs en scène essaient de tendre un fil entre les parties parlées et les solos, ensembles, chœurs, interludes, passacailles et autres formes ajoutées.

Offrir une cohérence à l’ouvrage, dont on ne possède que peu d’indications musicales, s’avère délicat. Après maints remaniements à travers les époques, on doit à William Christie et Graham Vick d’avoir resserré les contours flous de l’œuvre en 1995. Depuis, certains manient la simplification théâtrale, traitée en récitatif, pour mettre en valeur les passages musicaux. D’autres proposent des relectures totalement décalées, gonflent les parties musicales, voire optent pour la version de concert ou la mise en espace.

Formule magique

Les artistes à l’œuvre à l’ODN procèdent différemment. En utilisant le texte de John Dryden dans sa quasi-intégralité avec le nombre originel d’acteurs, Marcial Di Fonzo Bo valorise la primauté du verbe, en français. Le King Arthur genevois est ainsi une véritable pièce de théâtre avec musique et chant anglais, dont on ne sait dire qui engendre l’autre tant l’échange relève de la maïeutique.

Avec le metteur en scène et le chef d’orchestre, les notes et les mots jouent à se révéler. Le duo crée une tension constante entre l’action, très développée, et le traitement musical, tissé au petit point autour de l’histoire. Les autres ingrédients de la formule magique? Bien sûr la troupe des vingt protagonistes (huit acteurs et douze chanteurs), le chœur et l’écrin qui magnifie leurs interventions.

La féerie visuelle domine, portée par l’imaginaire de Catherine Rankl et Pierre Canitrot. La scénographe y déploie un univers à la pointe sèche de silhouettes forestières, pour encadrer la vitalité scénique qui propulse les personnages.

Une somptueuse apparition neigeuse

Au centre, un simple espace de tréteaux s’anime de tentures peintes manipulées à vue, cerfs et sangliers naturalisés, fleurs, arbres et créatures sylvestres composant une nature fantasmée. Avec, au cœur de ce festin des yeux, l’apparition neigeuse du Génie du froid devant un immense miroir qui reflète, cache, et révèle les mondes secrets, les esprits ou le public…

La simplicité du procédé et l’impressionnante esthétique générale offrent un cadre de rêve au costumier qui y incruste avec gourmandise ses elfes, magiciens, sorciers et personnages hauts en fantaisie.

On ne résiste pas à cette proposition enchanteresse où la Cappella Mediterranea fait vibrer chaque geste et rayonner chaque chant. Ni aux acteurs et chanteurs inspirés que Marcial Di Fonzo Bo mène dans une éblouissante ronde shakespearienne. Un spectacle de magiciens.

Opéra des Nations, jusqu’au 9 mai.