Sa haute silhouette ployée par la souffrance et la culpabilité, Peter Mattei endosse le rôle d’Amfortas. Ce chevalier du Graal qui a failli dans les bras de l’enchanteresse Kundry, s’est fait dérober la lance sacrée après en avoir été blessé d’une plaie qui ne se referme pas et lui fait endurer mille morts.

Quand il aborda pour la première fois ce personnage torturé et rongé par la faute – c’était en 2013 à New York – le chanteur y voyait « un défi, une étape importante », sollicitant sa voix dans une tessiture plus grave que ses emplois habituels. Déjà, il avait relevé ce défi de manière magistrale, digne des accents sublimes et déchirants que Wagner met dans la bouche d’un héros déchu qui aspire au repos éternel, seul capable d’apaiser son tourment.

Une incarnation inoubliable

À la Bastille, Peter Mattei parvient – chose complexe dans une salle bien froide – à distiller une émotion si intense qu’elle met le spectateur (presque) dans l’état du chevalier pécheur. De son timbre si riche d’harmoniques et, à la fois, si clair et percutant, de sa ligne de chant soutenue, expressive et naturelle, et de son tempérament dramatique – il est de ceux dont on dit volontiers que, grâce à eux, la lecture du bottin téléphonique deviendrait un grand moment de théâtre ! – l’artiste tutoie les enfers et le ciel. Ce farouche Don Giovanni (chez Mozart), ce passionnant Eugène Onéguine (chez Tchaïkovski) s’impose comme un Amfortas inoubliable.

À son côté, le plateau vocal se hisse globalement à un très haut niveau même s’il n’atteint pas son exceptionnel magnétisme, depuis les « petits » rôles des chevaliers, écuyers ou filles fleurs, jusqu’aux protagonistes : Klingsor grinçant d’Evgeny Nikitin, Kundry profonde, touchante et sensuelle d’Anja Kampe, Gurnemanz parfaitement chantant – mais un peu impersonnel – de Günther Groissböck et Parsifal vaillant d’Andreas Schager, que son costume de randonneur en bermuda et chaussettes tirebouchonnées ne parvient pas à rendre ridicule.

Mise en scène plus que décevante

Cet accoutrement n’est qu’une des nombreuses misères et laideurs que réserve aux interprètes et au public la mise en scène de Richard Jones. Si les formes et les couleurs (lie de vin, maronnasse, vert épinard ou rose jambon pour la barboteuse (!?) du maléfique magicien Klingsor…) sont affaire de goût, la direction d’acteurs inélégante et empruntée, la symbolique assénée et ce qui semble presque un manque de professionnalisme dans la maladresse des effets de lumière sont, eux, des défauts objectifs.

Situer l’intrigue mystique de Parsifal dans un établissement (scolaire, sectaire, vaguement sportif aussi…) où la Parole est unique et l’enrôlement évident, pourquoi pas ? Mais quel besoin d’insister sur les épanchements sanglants de la blessure d’Amfortas, de faire glisser sans cesse le décor du sanctuaire au réfectoire et du réfectoire à la chambre, d’imposer une gestuelle pataude aux chevaliers en survêtement ?

Quant au deuxième acte, il est prétexte à un ballet de filles fleurs, transformées en épis de maïs transgéniques aux seins démesurés, d’une vulgarité confondante. On comprend sans aucune peine que Parsifal leur résiste – déjà beau qu’il ne prenne pas aussitôt ses jambes à son cou…

Orchestre superbe mais direction exsangue

Sonorités superbes, délié des cordes et chant des bois impeccables, nuances d’un constant raffinement, l’Orchestre de l’Opéra de Paris prouve une fois encore que l’écriture wagnérienne et ses sortilèges instrumentaux lui permettent de se hisser parmi les plus envoûtantes phalanges symphoniques. Le mérite de cette cohésion revient certainement en grande part à son directeur musical Philippe Jordan

Pourtant, en dépit de cette beauté plastique, l’auditeur ressent, dès les premières mesures du Prélude pris à un tempo étiré, que quelque chose n’est pas là. Comme si l’on contemplait une série de magnifiques photographies en lieu et place d’un film, ou les mots d’un superbe poème sans être bercé par la musique des phrases. Assister à Parsifal doit constituer une expérience esthétique, sensorielle et émotionnelle qui vous laisse pantois. Vous transforme, vous hante, encore et encore. À la Bastille, elle ne s’accomplit pas.

(1) Après un grave incident technique qui, heureusement, n’a fait aucune victime, les installations scéniques de la Bastille ont dû être vérifiées ce qui a décalé la première du spectacle, initialement prévue le 27 avril, au 13 mai.

Encore 3 représentations jusqu’au 23 mai. operadeparis.fr