Opéra de Lille : un Nabucco de Verdi ratrappé par l’actualité

- Publié le 18 mai 2018 à 18:02
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Marie-Eve Signeyrole signe une production où transparaît le quotidien du Moyen-Orient contemporain. Superbe distribution, galvanisée par la direction de Roberto Rizzi Brignoli.

Faire de Nabucco un opéra d’aujourd’hui, c’est facile. Marie-Eve Signeyrole a beau s’en défendre, elle a succombé à la tentation. Massacres de civils effarés, bombardements et pillages, le tout capté par une chaîne d’info en continu : le quotidien du Moyen-Orient. La vidéo est omniprésente, envahissante même, des textes d’Elias Sanbar, ambassadeur de Palestine à l’Unesco, parasitant le livret, comme une conférence de presse d’Abigaille. On se lasse vite de cette accumulation de lieux communs, qui finit par banaliser un message visant à dénoncer l’ambiguïté de l’histoire : la conversion de Nabucco n’ouvre-t-elle pas la porte à une théocratie aussi totalitaire que sa dictature sanguinaire ? Zaccaria, lui, a passé une ceinture d’explosifs autour de la taille de Fenena…

Cela dit, l’ensemble, thriller haletant et virtuose, ne manque pas de force. Et l’on appréciée la pertinence affûtée d’une direction d’acteurs qui, dès qu’elle se concentre sur les caractères, démonte et démontre remarquablement les mécanismes de la folie du pouvoir. L’aliénation de Nabucco brisé, presque retombé en enfance, est d’une cruelle vérité, son affrontement avec une Abigaille ivre de sa puissance constitue l’acmé de la production. Le traitement du chœur et des grands ensembles est magnifique.

Distribution à la hauteur des enjeux. Si elle manque de corps dans le médium et le grave, Mary Elizabeth Williams impressionne : elle a le souffle, le phrasé, l’agilité d’Abigaille (rôle impossible, aux écarts redoutables), sa morgue hystérique surtout. Face à elle, Nikoloz Lagvilava révèle un vrai baryton Verdi, au timbre mordant, à la ligne châtiée, aussi superbe dans la fureur meurtrière que dans les égarements de la déchéance : un chêne qu’on abat… et qui se redresse. Un peu instable au début, Simon Lim, belle voix chaleureuse, impose ensuite un Zaccaria à la noblesse de prophète, auquel fait seulement défaut la profondeur des graves. La prière du dernier acte confirme les qualités du mezzo racé de Victoria Yarovaya. Le thriller trouve un parfait écho dans la direction volcanique de Roberto Rizzi Brignoli, qui fait passer sur l’opéra le souffle de l’épopée. Mais ce romantisme exalté peut s’assagir : anthologique « Va, pensiero », plein de nostalgie douloureuse, avec un chœur au sommet. Fin de saison réussie à Lille.

Nabucco de Verdi. Lille, Opéra, le 16 mai.

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