Ouvrage célébrissime et emblématique, Nabucco (1842) n’est finalement pas si souvent programmé en France, hors du Théâtre antique d’Orange – et voici que Lille, Montpellier et Toulon en proposent trois productions quasi-simultanées !

Celle de Montpellier investit le Corum, vaste salle à l’acoustique analytique, capable d’accueillir les amples houles chorales du premier chef-d’œuvre verdien. Avec son esthétique proche de l’oratorio biblique, celui-ci est difficile à mettre en scène sans tomber dans le kitsch. John Fulljames, scénographe venu du Royal Opera House de Londres, a plus ou moins contourné la difficulté en optant pour la distanciation : en costumes (hébraïques) contemporains, kippa incluse, les acteurs rejouent la légende de Nabucco comme ils célèbreraient un rite ancestral, à base d’objets votifs, dans le décor d’un vieux palais décati. Une énorme tête de cheval brandie à bout de bras symbolise le roi de Babylone, une autre, de taureau, le dieu Baal ; la plupart des « scènes d’action » sont incarnées (fort belle idée) par une troupe d’enfants portant lance et masque assyrien doré, tandis qu’un vieux mime, errant hagard sur la scène, semble représenter la mémoire du peuple juif. Le procédé fonctionne assez bien au premier acte (l’entrée à la fois majestueuse et grotesque de Nabucco, au son de la banda qui s’ébroue sur le plateau, fait mouche) mais, faute d’inventivité, finit par s’avérer répétitif et statique.

Il faut dire que la direction musicale manque elle aussi de souffle, de tension, surtout dans les scene et récitatifs (trio de l’acte I, accompagnato d’Abigaille). En revanche, Michael Schonwandt, chef principal d’un Orchestre national de Montpellier en grande forme et qui le suit avec enthousiasme, soigne particulièrement les textures orchestrales, la clarté des divers plans sonores, les interventions des solistes instrumentaux, arrachant Nabucco au « ploum-ploum » dans lequel on le confine si souvent et tissant de superbes climats pour les passages les plus mystiques (chœur initial, prophéties de Zacharie, finale de l’acte IV). Le Chœur de Montpellier, renforcé pour l’occasion par celui de l’Opéra national de Lorraine, s’avère encore plus remarquable : chaud, vibrant, homogène, investi, il nous procure de véritables frissons dans un « Immenso Jehovah » d’anthologie (davantage que dans un « Va pensiero » un peu platement mené, bien que bissé).

Côté solistes, après l’avoir applaudi en Ezio (Attila, Liège 2013) et Macbeth (Toulon 2014), on admire une fois encore le phrasé plein de morbidezza et d’émotion de Giovanni Meoni (Nabucco), idéal baryton Verdi au placement haut, à la diction et à la projection parfaites (manque juste un soupçon de métal), dont on ne comprend toujours pas pourquoi il est si rarement invité sur les scènes parisiennes. On est moins convaincu par l’Abigaille de Jennifer Check : certes, la voix est saine, longue, déliée, mais l’interprète se regarde beaucoup chanter, précautionneusement, décochant ses aigus avec un léger retard et couvrant trop l’élocution pour faire croire à son personnage. Confronté à une tessiture presque aussi meurtrière, Luiz-Ottavio Faria (remplaçant Oren Gradus en Zaccaria) défend avec nettement plus de conviction et d’efficacité un rôle dont il possède davantage les extrêmes que le médium, plutôt usé. Bel apport de la mezzo Fleur Barron en Fenena mais Davide Giusti (Ismaele) cède au syndrome du ténor qui n’a rien à chanter et qui, du coup, le chante à tue-tête.

La salle est pleine, le public très réactif – un peu trop, même, puisque, applaudissant après chaque section, il contribue à morceler une œuvre dont l’incarnation scénique reste problématique...

O. R.

A lire : notre édition de Nabucco / L’Avant-Scène Opéra n° 86.


Photos : Marc Ginot.