Une Nonne Sanglante gothique et flamboyante à l’Opéra Comique

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C’était la grande curiosité de la fin de saison : deuxième des douze opéras de Charles Gounod, La Nonne Sanglante est la nouvelle résurrection du Palazzetto Bru-Zane. Inspiré du roman Le Moine de Lewis, l’œuvre n’avait quasiment jamais été rejouée depuis sa création en 1854, suite à la décision d’un directeur pudibond de l’Opéra de ne plus représenter « pareille ordure ».


Michael Spyres (Rodolphe), Marion Lebègue (la Nonne) (c) Pierre Grosbois


Vannina Santoni (Agnès), Michael Spyres (Rodolphe), Marion Lebègue
(la Nonne), chœur accentus (c) Pierre Grosbois

Or, c’est l’argument gothique et le romantisme flamboyant de l’intrigue qui nous séduisent aujourd’hui. La mise en scène de David Bobée choisit le premier degré (à l’exception du ballet du troisième acte à l’ironie queer) et multiplie les références aux séries télévisées. Avec ses chevaliers en peaux de bêtes et ses tableaux vivants de batailles, on pense à Vikings mais surtout à Game of Thrones, dont on verra apparaître littéralement le trône de fer en deuxième partie de spectacle. Dans cette grande bande dessinée, la blondeur platine de Vannina Santoni rappelle irrésistiblement le personnage de Daenerys Targaryen et la Nonne Sanglante (ce fantôme qui réapparait tous les minuits, comme une malédiction) suggère les sortilèges inquiétants de la magicienne Mélisandre. On vibre, on s’amuse devant l’énormité des situations, et on salue encore une fois le choix de Bobée de ne pas avoir saturé de références psychanalytiques, une intrigue, qui, en d’autres mains, aurait pu créer un spectacle autrement moins alerte.

Même éclat, et même enthousiasme dans la direction de Laurence Equilbey, qui prend à bras-le-corps les timbres d’Insula Orchestra. Les alliages instrumentaux claquent, ne s’embarrassent guère de demi-mesures mais qu’importe, l’orchestre de Gounod séduit par son irrésistible mouvement. La Nonne Sanglante impressionne également par sa vocalité ensorcelante, de la cavatine raffinée de Rodolphe au deuxième acte aux majestueux ensembles choraux (Accentus), qui hantent l’oreille après la représentation. A 36 ans, Gounod est déjà tout entier lui-même.

C’est peut-être cette dimension d’innocence, cette assurance de chanter le rôle de Rodolphe pour la première fois qui rendent l’incarnation de Michael Spyres aussi passionnante. Merveilleusement ardent, le ténor américain embrase la scène. Le chanteur conjugue une admirable prononciation du français, des nuances royales et une sensibilité exacerbée qui n’en oublie ni le théâtre ni la suprême maîtrise d’une technique souveraine. Même urgence dramatique de la part du cast féminin : de la toujours délicieuse Jodie Devos dont le Page évoque à maints endroits l’Enfant de Ravel, aux rôles moins séduisants d’Agnès et La Nonne, mais ici magnifiquement interprétés par Vannina Santoni et Marion Lebègue. A l’exception de Michael Spyres, les hommes sont hélas un ton en-dessous : annoncé souffrant, le baryton André Heyboer n’anime guère son rôle dans l’acte final, et Jean Teitgen ne parvient pas à surmonter son spectaculaire trou de mémoire dans la scène d’introduction. Dans le double rôle de Fritz et du Veilleur de Nuit, Enguerrand de Hys séduit en revanche par son timbre frais et sa conduite de la ligne vocale.

Toutes ces qualités font-elles de la Nonne Sanglante un chef d’œuvre inoubliable de l’opéra français ? Probablement pas, tant l’œuvre tient du divertissement d’époque, mais par la richesse de son écriture vocale, par la force dramatique que Gounod insuffle à chaque scène, La Nonne Sanglante apparaît comme un ouvrage magistralement attachant, auquel l’Opéra Comique a rendu une magnifique renaissance.

Laurent Vilarem
(Paris, le 2 juin 2018)

Crédit photographique : Pierre Grosbois

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