Un Nabucco "actualisé" à l'Opéra de Lille

Xl_nabucco © Frédéric Iovino

Chaque année, désormais, l’Opéra de Lille retransmet en direct et en plein air un des principaux titres de sa saison, généralement un ouvrage capable de réunir le plus large public possible, et cette année, c’est Nabucco de Giuseppe Verdi qui a été choisi. C’est à cette représentation que nous avons assistée, confortablement installé à l’intérieur, tandis que 3000 spectateurs étaient massés devant l’écran géant installé sur le parvis de l’opéra, et que plus de 8000 autres étaient réunis – devant d'autres écrans – dans 28 villes de la Région Hauts-de-France.

Que reste-t-il de Nabucco si l’on évacue la perspective historique ? A ce récit d’inspiration biblique, métaphore du peuple italien en lutte contre son oppresseur, la metteuse en scène française Marie-Eve Signeyrole substitue une intrigue contemporaine, dont le point d’ancrage est la crise au Moyen-Orient. Se succèdent ainsi d’omniprésentes images vidéo (sur plusieurs écrans), façon CNN, montrant les horreurs de la guerre et leurs ravages parmi les civils, tandis que des propos d’Elias Sanbar, Ambassadeur de Palestine à l’UNESCO, ponctuent tout le spectacle... et parasitent au passage le livret de Temistocle Solera. Si on peut discuter de la pertinence (voire de la facilité) de la transposition, reconnaissons le talent de Marie-Eve Signeyrole pour faire vivre le plateau (même si c’est souvent au détriment de la musique) : son sens du théâtre est en effet assez spectaculaire, pour ne pas dire bluffant, à certains moments, et puis elle sait animer les grandes masses chorales comme personne...

Mary Elizabeth Williams n’est pas tout à fait la soprano dramatique d’agilité réclamée par Abigaille, mais son intelligence musicale, la beauté de son phrasé dans les cantilènes, sa bravoure face à l’exigeante colorature – malgré quelques approximations ça et là – lui permettent de dominer le rôle, auquel la nature de la chanteuse afro-américaine donne un relief incontestable. Passés les pièges de la cabalette avec chœur de l’acte I, Simon Lim compose un Zaccaria très convaincant, et s’il ne possède pas toujours la profondeur requise, la basse coréenne domine avec un réel sens de la ligne sa grande scène de l’acte II. Dans le rôle-titre, le baryton géorgien Nikoloz Lagvilava se révèle aussi émouvant en tyran déchu que crédible en autocrate sanguinaire. On louera également son émission surveillée, ses aigus pleins et timbrés, et son phrasé d’une rare éloquence. En Fenena, la mezzo russe Victoria Yarovaya possède toute l’élévation requise pour transcender sa courte cavatine du IV, « Oh, dischiuso », tandis que le ténor américain Robert Watson – plébiscité deux mois plus tôt en Don José à Montpellier – ne fait qu’une bouchée du rôle d’Ismaele, en lui prêtant ses généreux (et savoureux) moyens. Une mention, enfin, pour l’Anna bien chantante de Jennifer Courcier, le Gran Sacerdote sonore d'Alessandro Guerzoni, et l’Abdallo très prometteur de François Rougier.

Au pupitre, le chef italien Roberto Rizzi Brignoli impose une lecture vigoureuse et riche de contrastes, en accentuant les coups de sang et de théâtre typiques de cette partition de jeunesse, sans jamais sacrifier l’accompagnement des chanteurs, notamment dans les reprises des cabalettes. L’Orchestre National de Lille lui répond avec autant de précision que de chaleur, tandis que les chœurs réunis des Opéras de Lille et de Dijon, superbement préparés par Yves Parmentier, s’en tirent avec tous les honneurs, notamment dans le célébrissime (et sublime) « Va pensiero ».

Emmanuel Andrieu

Nabucco de Giuseppe Verdi à l’Opéra de Lille, le 26 mai (et jusqu’au 6 juin) 2018

Crédit photographique © Frédéric Iovino

 

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