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Parsifal hors d’âge

Mannheim
Nationaltheater
04/14/2018 -  et 19 avril, 20 juin 2019
Richard Wagner : Parsifal
Frank van Aken (Parsifal), René Pape (Gurnemanz), Thomas Berau (Amfortas), Patrick Zielke (Titurel), Joachim Goltz (Klingsor), Angela Denoke (Kundry), Amelia Scicolone, Estelle Kruger, Ludovica Bello, Iris Kupke, Iris Marie Sojer, Julia Faylenbogen (Filles-Fleurs), David Lee, Philipp Alexander Mehr (Chevaliers du Graal)
Opernchor Mannheim, Orchester des Nationaltheaters Mannheim, Alexander Soddy (direction)
Hans Schüler (mise en scène), Paul Walter (décors), Gerda Schulte (costumes), Alfred Pape (lumières)


(© Hans Jörg Michel)


Né à Berlin en 1897, Hans Schüler a fait ses classes d’assistant metteur en scène auprès de Siegfried Wagner et Max Reinhardt, noms qui nous renvoient d’emblée à une époque bien lointaine. A partir de 1951, la carrière de Schüler s’est longuement identifiée à l’opéra de Mannheim, où il fut intendant pendant douze ans et signa de nombreuses mises en scène. Qu’en reste-t-il aujourd’hui? Son nom, donné à une minuscule rue dans un quartier résidentiel de la ville, et aussi une unique production d’opéra qui a miraculeusement traversé les âges: un Parsifal, créé le 14 avril 1957, dans le bâtiment moderne du Nationaltheater tout fraîchement construit, et ne l’a jamais quitté depuis.


A l’époque, les mises en scène de Wieland Wagner et son «neues Bayreuth», encore que vivement discutées, commencent à donner le ton. En 1951, c’est précisément avec Parsifal que le petit-fils du compositeur choisit de faire table rase: une scène presque entièrement vide, des éclairages changeants et en général assez sombres, un saisissant dépouillement... Six ans plus tard à Mannheim, Hans Schüler suit la même trajectoire: un Parsifal immatériel, tout en images projetées sur des voiles semi-transparents. Devant les projecteurs sont placées des plaques de verre de 18 centimètres de côté, sur lesquelles ont été peintes directement à la main les visions colorées du scénographe Paul Walter (l’artiste qui tenait le pinceau? le jeune Günther Schneider-Siemssen, ce qui nous évoque tout de suite un univers particulier...). La production entière aspire à une grande intériorité, qui relativise les notions de temps et d’espace. Un large voile de tulle devant une petite colline centrale, proche de l’avant-scène, une sorte d’écran hémisphérique à l’arrière-plan, sur lequel on projette tantôt les troncs d’une forêt à peine suggérée, tantôt les trois baies tortueuses d’une salle du Graal revue par l’expressionnisme charbonneux d’un Nolde, tantôt les fleurs exotiques vaguement carnivores du jardin de Klingsor. Hormis pour les Filles-Fleurs (ou du moins les danseuses qui en doublent la plupart pour exécuter une chorégraphie à la Loïe Fuller relativement turbulente), l’immobilisme est de règle: on s’agite vraiment peu, chacun occupe dans le dispositif une place soigneusement prédéterminée et qui n’a pas besoin de changer beaucoup. Priorité à la musique, au texte (dont l’intelligibilité se trouve facilitée par la proximité de tous les chanteurs par rapport à l’avant-scène) et à la fascination du Gesamtkunstwerk, concept galvaudé mais pris ici particulièrement au sérieux.


Au fil des années (rappelons que ce soir on a vu ce Parsifal exactement 61 ans, au jour près, après la première...), TOUT a été conservé. Les trente-quatre fragiles plaques de verre peint, de plus en plus usées et rayées malgré toutes les précautions prises par les éclairagistes et qu’il a fallu restaurer minutieusement à grand frais, les costumes, les accessoires (dont certains ressortent des vitrines d’un musée avant chaque représentation) et bien sûr une mise en scène qui pour chaque rôle se transmet d’un titulaire au suivant, comme une longue et ininterrompue tradition orale. Le Parsifal de Mannheim? Une institution à lui tout seul, une légende, et à présent que tout y a été bien retapé et réparé, une production qui devrait perdurer des années encore. Mannheim la reprend au moins deux fois par saison, en principe le jour du Vendredi-Saint et souvent encore à l’Ascension. «L’intendant qui oserait toucher à Parsifal pourrait faire tout de suite ses valises », me disait un soir, et d’ailleurs avec un agacement non déguisé, Klaus-Peter Kehr, ex-titulaire de la fonction. Apparemment, au cours la conversation, j’avais touché naïvement un point qui posait aussi quelques problèmes...


Mais que va-t-on donc découvrir, alors qu’afflue au Nationaltheater un public manifestement détendu (aucun effet de surprise à redouter, certes) et d’avance réjoui? Une vieillerie pieusement entretenue? Un culte particulier pour fétichistes ? Eh bien non, et sitôt le rideau levé on en est rapidement convaincu: une très belle expérience, comme une immersion dans la musique et la lumière qui va de plus en plus profond. Et ce jusqu’à la quasi-obscurité de la scène du Graal, mystère sacré qui se joue comme en filigrane, dans une pénombre où se distinguent à peine les formes agenouillées autour de l’autel. Après l’entracte, le jardin de Klingsor a pris davantage de rides (surtout la chorégraphie, gentillette...) mais l’apparition de Kundry, dans une robe somptueuse où l’on imagine bien de prestigieuses titulaires passées, garde beaucoup d’impact (la liste, mentionnée dans le programme, est impressionnante: Varnay, Rysanek, Meier, Schnaut, Polaski, Herlitzius...). Le troisième acte accuse aussi un peu de jeu dans les jointures, mais nombre de gestes tout simples continuent à y émouvoir comme rarement ailleurs. Oui, le public de Mannheim a raison d’y tenir: ce Parsifal de musée est à garder, voire à chérir.



(© Hans Jörg Michel)


Théâtre de répertoire et de troupe, Mannheim n’en affiche pas moins une qualité musicale extrêmement solide. L’orchestre, superbement dirigé par le jeune chef britannique Alexander Soddy, n’a pas grand chose à envier à des formations plus huppées, avec des cuivres francs et fiables, une petite harmonie efficace et des cordes bien enveloppantes que l’acoustique de la salle valorise bien. Les sortilèges de la partition fonctionnent très naturellement, avec malheureusement au cours de la dernière demi-heure une certaine fatigue qui se fait sentir et limite un peu la portée des dernières envolées. Les chanteurs sont par ailleurs idéalement soutenus, portés par la baguette d’un véritable chef de théâtre et le résultat est merveilleux. A fortiori quand le rôle de Gurnemanz est tenu par un titulaire de l’envergure de René Pape: un équilibre, un naturel dans la façon de poser les phrases et de donner une pertinence aux récits, qui nous ramènent à un âge d’or du chant wagnérien, même si intrinsèquement la voix du baryton-basse allemand n’est pas l’une des plus profondes et impressionnantes du moment. Le ténor hollandais Frank van Aken, plus massif en Parsifal, typique format de heldentenor assez peu perméable à la notion de nuance, assure sa partie avec une grande solidité, ce qui n’est malheureusement pas le cas d’Angela Denoke, qui ne devrait pas s’aventurer dans le rôle de Kundry, ou du moins plus à un stade de sa carrière où tous les aigus du rôle lui échappent, conquis au prix d’efforts particulièrement pénibles. Scéniquement une grande actrice reste à l’œuvre, même si dans cette production il lui faut tout jouer «en creux», mais vocalement sa prestation semble elle-même la laisser sceptique au moment des saluts, encore qu’elle reste très chaleureusement applaudie. La troupe de Mannheim fournit par ailleurs d’excellents titulaires pour tous les autres rôles, dont le formidable Joachim Goltz, Klingsor à la voix un peu rauque mais d’une remarquable puissance expressive. Seul Thomas Berau, Amfortas trop neutre, déçoit un peu.



(© Hans Jörg Michel)


En tout cas une production d’une ambiance particulière, voire unique en son genre aujourd’hui... Continuons à souhaiter longue vie à ce vénérable Parsifal !



Laurent Barthel

 

 

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