Aux sources de Faust au Théâtre des Champs-Elysées

Xl_faust-tce-2018-bernheim-gens © DR

Après le triomphe de La Nonne Sanglante à l’Opéra-Comique, juin est décidément le mois Gounod puisque le Théâtre des Champs-Elysées proposait la version originelle de Faust, grâce aux bons soins du Palazzetto Bru-Zane. Disons-le tout net : ce Faust de 1859 relève davantage de la curiosité que d’une découverte capitale dans notre appréhension de l’œuvre, malgré une interprétation de premier ordre.

Les experts gounaldiens (en cette année du bicentenaire du compositeur) relèveront toutes les nouveautés : trio Faust-Wagner-Siebel, duo Valentin-Marguerite ou la chanson du scarabée de Méphistophélès, mais ce sont surtout les dialogues parlés qui modifient en profondeur le visage de la pièce. Et aussi vaillants soient les chanteurs, la version de concert aiguise les conventions d’un livret, qui tend avec ces épisodes théâtraux vers le comique et le théâtre de boulevard. Privé de mise en scène (à la différence de La Nonne Sanglante), l’ouvrage accuse finalement son âge et donne raison à Debussy, qui affirmait que « l’art de Gounod représent(ait) un moment de la sensibilité française ».

Ce retour aux sources porte toutefois bien la signature de Christophe Rousset. Après une Médée de Cherubini à La Monnaie de Bruxelles, le chef français poursuit à la tête de ses Talents Lyriques, son exploration de l’opéra du XIXe siècle. Malgré des problèmes de justesse inhérents aux instruments d’époque, sa vision est dégraissée, détaillée, d’une ampleur toute royale, à l’exception d’une valse fort chorégraphique dans le deuxième acte.

Sur le papier, la distribution vocale suscitait toutes les promesses. Mention spéciale tout d’abord, pour l’excellent Chœur de la Radio Flamande, impressionnant d’homogénéité et de nuances, malgré son effectif chambriste (36 chanteurs) ; confirmation ensuite pour l’ardent Valentin de Jean-Sébastien Bou, impérial de style et de charisme dramatique. Si Juliette Mars et Anas Séguin sont honorables dans les rôles de Siebel et Wagner, Ingrid Perruche embrase immédiatement la scène, jusqu’à la vulgarité, avec des apparitions parlées (le chant de Marthe est ici réduit à la portion congrue dans cette version) d’une grande truculence. Andrew Foster-Williams est la seule déception de la soirée, en raison d’une prosodie française fatalement moins idiomatique que celle de ses confrères francophones et d’un Méphistophélès d’opérette en manque de graves. Les rôles principaux méritent en revanche toutes les louanges : en Faust, Benjamin Bernheim séduit par sa belle voix claire, ses nuances aériennes, sa mélancolie langoureuse. Après son triomphe à l’Opéra de Chicago, le ténor franco-suisse aborde son personnage avec un plaisir visible, comme s’il voulait faire (re)découvrir la partition au public parisien. Le timbre évoque irrésistiblement Roberto Alagna, mais un Alagna plus secret et lunaire, riche d’une nostalgie étreignante, comme en atteste l’air « Salut ! Demeure chaste et pure ». En Marguerite, Véronique Gens domine de la tête et des épaules l’ensemble du plateau (malgré des aigus parfois peut-être trop exigeants pour sa tessiture). Avec naturel, elle apporte une respiration noble et tragique, tout en goûtant le sens de chaque syllabe. Mieux encore, elle parvient à faire vivre des passages aussi rebattus que la Ballade du roi de Thulé et prend le public à témoin avec une classe folle dans le célébrissime Air des Bijoux.

Laurent Vilarem
(Paris le 14 juin 2018)

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