2018, année Gounod. Pour célébrer les deux cents ans de la naissance du compositeur, les institutions parisiennes ont mis les petits plats dans les grands : tandis qu’un chef-d’œuvre méconnu a été exhumé à l’Opéra-Comique (La Nonne sanglante), le Théâtre des Champs-Élysées proposait, jeudi soir, une version inédite du fameux Faust. Dialogues parlés (composante essentielle de la première version créée en 1859), airs d’origine et mélodrames réorchestrés étaient au menu de cette intéressante reconstitution proposée dans le cadre du festival du Palazzetto Bru Zane.

Sous les vernis de la version grand opéra mondialement célèbre, on a pu découvrir un Faust léger et fantaisiste par endroits, avec des passages dignes du théâtre de boulevard : un long dialogue et des apartés copieux viennent souligner les penchants nymphomanes de dame Marthe, veuve clownesque qui reprendrait volontiers du Méphisto au dessert. Côté hommes, Wagner ne cesse de clamer son amour pour la dive bouteille et ses envies de pousser la chansonnette sont rabrouées dans le plus pur style village gaulois (« Non, ne chante pas ! »). On observe alors avec plaisir l’origine des quelques percées humoristiques de la version définitive.

Sans mise en scène, coincés derrière leurs pupitres, les chanteurs peinent cependant à donner au texte toute l’incarnation qu’il mériterait. Benjamin Bernheim (Faust) fait notamment une lecture trop neutre pour rendre compte des nuances du personnage. Seuls Ingrid Perruche (dame Marthe), volubile dans sa robe fuchsia, et Andrew Foster-Williams (Méphistophélès) multiplient les effets de manche, au risque de souvent surjouer. Ce Faust rajeuni nécessitera une mise en scène pour être pleinement apprécié par les chanteurs comme par les spectateurs.

Excepté cette réinsertion du texte parlé, la partition comporte des modifications notables et la comparaison est tentante : l’air de « Maître Scarabée » chanté ce soir par Méphistophélès n’a pas l’envergure du « Veau d’or » qui le remplacera dans la version finale. On découvre cependant des numéros inédits plus que valables (belle romance de Siebel « Versez vos chagrins dans mon âme ») et les mélodrames habilement retravaillés sont convaincants, quand leur volume ne rend pas inaudible le texte des chanteurs.

Tout à fait divertissant pour le mélomane averti, le jeu des sept différences historiques n’est pas le seul intérêt de la soirée : ce Faust mérite le détour pour son casting vocal. Étrennant le rôle de Marguerite, Véronique Gens fait montre d’une élocution toujours parfaite et d’une expressivité mélodique à se damner. Même les tubes les plus usés de la partition paraissent acquérir une jeunesse nouvelle sous sa voix : « Le roi de Thulé » et l’air des bijoux suscitent logiquement l’enthousiasme du public. Ses « Anges purs, anges radieux » montrent toutefois ses limites dans des aigus difficiles, d’intonation instable. À ses côtés, Benjamin Bernheim resplendit dans le rôle-titre. Son timbre intense, homogène et puissant en font un Faust hors-catégorie, qui brille par son héroïsme (« Salut, ô mon dernier matin ») et séduit par sa douceur (« Salut, demeure chaste et pure » reçoit l’ovation la plus importante de la soirée). Troisième pilier d’une production de choc, le vigoureux Jean-Sébastien Bou fait étalage de toute sa classe dans le rôle mineur de Valentin. Son panache dans la mort constitue un des grands moments de la soirée. Face à lui, Andrew Foster-Williams manque de carrure. Certes, le texte léger de la version 1859 l’encourage à jouer au diablotin cabotin ; son Méphistophélès n’a néanmoins ni le coffre, ni les graves qui confèrent au rôle toute son ampleur fantastique. Le reste du plateau vocal apparaît en retrait : élégante et habile mélodiste, Juliette Mars (Siebel) manque de projection, jusque dans les textes parlés. Quant à Anas Séguin (Wagner), s’il se montre volontaire et excellent comédien, son timbre désuni souffre de la comparaison avec ses voisins. Toujours juste et nettement articulé, le Chœur de la Radio flamande entoure magnifiquement ces solistes malgré son effectif léger.

Les Talens Lyriques et leur directeur musical Christophe Rousset échouent en revanche à insuffler de la vie à la partition ressuscitée. La fameuse valse de l’acte II, « Ainsi que la brise légère », est tracée dans un tempo militaire intenable. La Nuit de Walpurgis subit le même traitement rigide, dénué de toute subtilité dans l’équilibre orchestral. Ce serait mineur si la justesse était au rendez-vous, or la petite harmonie a toutes les peines du monde à tracer son chemin dans une intonation aléatoire, derrière un hautbois d’époque qui n’est sans doute pas à son diapason optimal. Seule la flûte surnage avec un phrasé admirable, accompagnée du cor qui projette ses solos avec assurance. C’est toutefois dans une cacophonie générale que s’achève l’œuvre, les cloches et l’orgue faisant entendre deux diapasons bien distincts de ceux des vents et des cordes. Espérons que l’enregistrement à venir proposera une réincarnation plus harmonieuse.

***11