L’Athénée propose de redécouvrir Les P’tites Michu d’André Messager, grand succès international à la toute fin du XIXe siècle et bien oublié depuis, occasion de croiser à nouveau la Compagnie Les Brigands, toujours aussi à l’aise dans ce répertoire.

Le Palazzetto Bru Zane a encore frappé, et pas où on l’attendait : après la toute récente révélation d’un Faust de Gounod rendu à ses origines et tant d’autres retrouvailles avec le répertoire lyrique français du XIXe siècle, c’est à une nouvelle incursion dans le domaine de l’opérette qu’il nous invite. Anticipée voici trois ans par la présentation des Chevaliers de la Table ronde d’Hervé (montés également avec Les Brigands), la production des P’tites Michu d’André Messager annonce une 7e saison toujours centrée sur Venise et Paris (mais aussi en tournée en France) et consacrée à la musique légère, autour du bicentenaire d’Offenbach.

En attendant, voici donc un retour bienvenu à Messager, chef d’orchestre réputé, pilier d’un répertoire fondamental (n’a-t-il pas créé Louise et Pelléas ?) et compositeur-auteur – entre autres ballets et pots-pourris wagnériens – d’une vingtaine d’ouvrages lyriques, tendance opéra-comique plus que Grand Opéra et dont les titres, majoritairement emportés par le temps au purgatoire des rayons de bibliothèques, sont dans les mémoires livresques plus que dans les souvenirs de scène récents. Véronique seule revient encore régulièrement au répertoire, Fortunio suivant loin derrière, tandis que Madame Chrysanthème, Monsieur Beaucaire, L’Amour masqué ou Coups de roulis sont devenus des raretés.

Comment résister alors à l’appel des P’tites Michu que l’Athénée, après le Théâtre Graslin de Nantes en mai, offre donc à notre curiosité ? Comme toujours en cet écrin, il s’agit d’une version réduite, grâce à l’inventivité de Thibault Perrine, qui s’est fait une spécialité de transcrire pour petites formations des ouvrages plus ou moins rares qui trouvent ainsi le chemin de scènes moins importantes que les plateaux des capitales lyriques. Ces Pt’ites Michu fleurent bon la France de la IIIe République, héritières d’Offenbach et de ses Dames de la Halle (on vend ici des fromages sur le carreau parisien), mais aussi d’un ton poétique qui s’inscrit dans la continuité des productions des Bouffes et de l’Opéra-Comique de l’époque. Désuet ? Sans doute un rien, mais pas niais pour autant. L’argument, signé d’Alfred Vanloo (auteur du livret de Véronique, mais aussi du Voyage dans la lune d’Offenbach et de L’Etoile de Chabrier) et de Georges Duval, est celui des enfants confondus, comme chez Verdi quand Azucena mélange son propre fils et le fils du tortionnaire de sa mère. Mais en bien moins dramatique : disons plutôt tendance Chatiliez, façon La Vie est un long fleuve tranquille. Deux bébés, nés le même jour de deux couples différents mais confondus nus dans une baignoire, sont élevés comme deux jumelles. Dix-sept ans plus tard, personne ne sait donc qui est la fille des Michu, fromagers des Halles (rien à voir avec la française moyenne popularisée dans les années cinquante), et qui est celle d’un marquis des Ifs devenu général sous la Restauration. Or voilà que le père militaire a promis son enfant, confiée lors de la Révolution à Madame Michu, à celui qui lui a sauvé la vie. Imbroglio garanti, mais l’instinct s’en mêlera sans que la lutte des classes n’ait vraiment à intervenir : Blanche-Marie reviendra à l’étal de ses vrais parents et Marie-Blanche aux manières des aristocrates – et in extremis à la main de Gaston, le sauveur de papa.

De cette comédie joyeuse autant que doucereuse, dont le côté sentimental fait d’ailleurs toute la saveur, Rémy Barché a surtout modernisé l’aspect. Décor rose bonbon (Salma Bordes) qui, s’il n’était aussi coloré, pourrait faire office de vaisseau spatial, costumes d’aujourd’hui (Oria Steenkiste) avec beaucoup de rose aussi, projections de dessins pour enfants (Marianne Tricot) et direction d’acteurs droit venue d’« Au théâtre ce soir » : la production, sans grands moyens, fonctionne avec son côté potache un peu lourdaud qui fait s’esclaffer à voir tant de naïveté faire toujours son effet… Heureusement la partition sauve le tout. Pierre Dumoussaud dirige sa petite formation de douze solistes enchantés de cette musique avec la verve qui s’impose : rythme endiablé, poésie décalée – ne manquent en fait que les couleurs plus fondues qu’offrirait un ensemble plus important.

Avec Les Brigands, qu’on a cependant connu plus délirants dans Offenbach ou Hervé mais qui font encore une fois œuvre de salut public par l’humour, l’équipe de chanteurs est comme toujours parfaitement distribuée. Entre le joli soprano d’Aude-Aurore Cochet et le mezzo plus coloré de Violette Polchi, les jumelles sont idéalement accordées, puisqu’elles ont beaucoup de choses à chanter en duo. Le jeune premier, pour une fois baryton, Philippe Estèphe, sait décliner un chant ravissant, tandis que parmi les personnages plus cocasses, Boris Grappe en Général colérique est irrésistible, comme Artavazd Sargsyan qui ose le ridicule avec maestria et une bien jolie voix. Romain Bagnolet en Ordonnance efféminée, Marie Lenormand en mère Michu dépassée et Damien Bigourdan en Fromager peu futé sont parfaits. Tous se retrouvent aussi pour former le chœur de l’institution où sont élevées les donzelles par une Mlle Herpin (Caroline Meng) aussi autoritaire que musicale.

Un plaisir à retrouver à Caen et Reims en décembre et janvier.

P.F.

Photos : Nemo Perier Stefanovitch