Une belle Clémence à Toulouse !
La Clemenza di Tito (La Clémence de Titus), dernier opéra de Mozart, a été créé à Prague en 1791, à l’occasion du couronnement de Léopold II, comme Roi de Bohême. Le livret avait donc pour enjeu particulier de donner une image la plus attrayante du souverain : la figure classique du Prince magnanime, en écho à la philosophie des Lumières, incarnée au travers d’un épisode de la vie de l’Empereur Titus. Cet Empereur éclairé est ici incarné par la prestance et la vaillance certaine du ténor Jeremy Ovenden. Il interprète avec finesse les débats intérieurs (beaux moments de philosophie politique) et les doutes du souverain, écartelé entre ses sentiments bienveillants et son devoir (son rôle de dirigeant). Le jeu est convaincant, même si la voix un peu légère ne lui permet pas de donner toute sa stature majestueuse à Tito : les vocalises de l'air final ("Se all'impero"), par exemple, ne sont "que" parfaitement exécutées vocalement et musicalement (ce qui est déjà remarquable), alors qu'elles doivent aussi être le signe d'une détermination impériale et impérieuse. Annio est l’ami fidèle, qui cherche à tout concilier quitte à se sacrifier, il est ainsi la figure inverse, positive, de Sesto (par devoir et loyauté, il est prêt à renoncer à Servilia que Tito envisage un moment d'épouser). Cet Annio est luxueusement et merveilleusement incarné par la vibrante Julie Boulianne, à la voix somptueuse et à l’engagement scénique constant ("Tu fosti tradito" en est le sommet). Servilia est pour sa part une figure de la sincérité et de l’engagement total, d’abord pour sauver son amour avec Annio, puis pour sauver son frère Sesto. C’est Sabina Puértolas, jeune soprano espagnole, frémissante et lyrique qui lui donne sa voix et son très touchant "S’altro che lagrime".
Le personnage de Vitellia doit déployer une riche palette : le ressentiment, la haine et la vengeance envers Titus puis la séduction et la manipulation exercée sur Sesto, et enfin le remords puis, devant sa constance à son endroit, l’aveu de ses forfaits, le tout garantissant un parcours dramatique exceptionnel ! Inga Kalna a presque toutes ces qualités réunies pour le rôle, avec sa belle voix ample, étendue vers un bel aigu (de forts beaux pianississimi). Son air "Non più di fiori", est terrifiant pour les sopranos, car il est très étendu et requiert en particulier des sols graves, poitrinés et sonores ("Venga la morte"), mais Inga Kalna en dispose (alors qu'elle connaît des faiblesses dans le bas medium et des difficultés à mixer la voix dans cette zone : à convoquer aussi une voix de poitrine qui l'aurait rendue davantage convaincante). Elle est cependant plus subtile vocalement que scéniquement, le jeu est un peu sec et abrupt, mais elle assume l’ensemble avec conviction : elle est notamment très touchante dans la figure de rédemption lors de la scène finale.
Personnage bien plus ambigu, oxymorique même, Sesto attire à la fois sympathie et rejet : sa sincérité ne saurait faire oublier la trahison qu’il se reproche d’ailleurs lui même avec force. Figure du tiraillement entre passions et devoir, entre passions et morale, le personnage doit également déployer une riche palette de sentiments et de couleurs. Rachel Frenkel, mezzo-soprano israélienne, sait en incarner la fougue, l'émotion et le lyrisme, les tempêtes qui l’assaillent au fil du rôle, avec un magistral "Parto", au début puis un fantastique "Deh per questo istante solo" à la fin. Le public toulousain (connaisseur en belles voix) ne s’y trompe pas et lui réserve une ovation lors des saluts.
Enfin, Aimery Lefèvre, en Publio, bon soldat rigoureux et sévère qui veut appliquer la loi (« contrepoint » dramatique de la figure de Tito qui tranche et décide, même "contre" l’usage), assure son rôle avec efficacité, même si la production a fait le choix de distribuer ici un baryton. La noirceur d’une vraie voix de basse -même si le rôle n’est pas tellement grave- contribue plus encore à asseoir sa structure dramatique, face à Tito.
Les Chœurs (préparés par Alfonso Caiani) et l’Orchestre national du Capitole (dirigé par Attilio Cremonesi), fidèles à leur réputation assurent pleinement leurs parties. Les Chœurs dans ces interventions simples et hymniques est brillant et tout à fait à sa place, visuellement aussi d'ailleurs : tel un auditoire qui entoure et admire son souverain. L'orchestre assume également sa partition, avec cependant une pâte orchestrale inhabituellement appesantie pour Mozart, tirant quelque peu vers le romantisme.
Réalisée par Marie Ambert, la mise en scène de David McVicar (Festival d’Aix en Provence, 2011), dans un décor majestueux et efficace (que l’on croirait tiré d’une célèbre Circoncision du Tintoret !), avec un grand escalier, et des éléments qui bougent à vue (judicieusement éclairés par Jennifer Tipton), seconde efficacement l’action, rendant parfaitement lisibles les divers épisodes, sans oublier les costumes « Empire » (Napoléoniens) de Jenny Tiramani.
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