Bohème, notre jeunesse à l'Opéra comique : le lyrique à la rencontre des nouveaux spectateurs

Xl_4_boh_me__notre_jeunesse_dr_pierre_grosbois © Pierre Grosbois

Qu’est-ce que La Bohème à l’opéra ? Pas seulement l’adaptation puissante du roman Scènes de la vie de Bohème d’Henry Murger ou un hit des maisons lyriques permettant d’attirer les plus grandes stars. C’est un esprit parisien d’une fin de XIXe siècle où la Ville Lumière se déconstruit (se détruit, même), pour mieux reconstruire la IIIe République : celle des Expositions universelles, celle d’une vie artistique ambitieuse, celle qui laisse encore sa trace aujourd’hui, dans le sillon du Second Empire. L’œuvre de Puccini, en parlant de précarité mâtinée de passion et d’insouciance, verse davantage dans le vérisme coquet que dans le naturalisme sordide. La force de la carte postale en Technicolor séduit invariablement, tout comme la recontextualisation d’un décor connu (les chambres de bonnes sous les toits, les cafés et les façades).


Bohème, notre jeunesse - Opéra Comique ; © Pierre Grosbois

Bohème, notre jeunesse, en français (comme à sa création parisienne en 1897 et pour les 1508 autres représentations à l’Opéra Comique depuis lors), réunit Salle Favart les facteurs de succès de La Bohème dans une optique d’ouverture des publics, en raccourcissant la durée originale à une heure trente sans entracte, en conviant des jeunes talents et en intégrant la pièce dans des parcours éducatifs d’abord en Île-de-France, puis en Normandie (coproduction avec l’Opéra de Rouen – Normandie et le Théâtre Montansier de Versailles). L’intelligence de la metteuse en scène Pauline Bureau est d’avoir mis au point une adaptation parlante à hauteur d’une scène d’opéra. Les coupes dans le livret et la musique (travail pointilleux de Marc-Olivier Dupin) permettent aux deux couples Mimi-Rodolphe et Musette-Marcel d’exprimer leurs antagonismes. Le superbe décor d’Emmanuelle Roy fortifie l’impression d’entre-deux de l’époque : une irréductible carcasse de combles mansardés s’expose en permanence, tandis que des projections vidéo font apparaître des enseignes aux néons clignotants ou une skyline parisienne en chantier (la Tour Eiffel en construction). Le liseré social esquissé par cette direction artistique fortifie les points de repère au regard d’une ville vitrine et d’opprimés, sans effet larmoyant. Cependant, pour révéler la teneur théâtrale des récits croisés, l’opéra aurait sans doute gagné à subir plus de raccourcis. À moins qu’il ne s’agisse de la partition… Dans la fosse, treize instrumentistes de l’ensemble Les Frivolités Parisiennes s’animent très efficacement sous la baguette précise d’Alexandra Cravero. C’est bien du Puccini, à ne point se tromper (et souvent très pêchu, d’ailleurs), mais l’inclusion de l’accordéon paralyse parfois l’adoucissement des couleurs et les nuances piano, et le grand lyrisme à l’italienne trime parfois à s’énoncer. Ainsi, les dimensions trop grandes de cette mise en scène pour un opéra au format quasi de chambre font pâtir la dramaturgie des chanteurs.


Bohème, notre jeunesse - Opéra Comique ; © Pierre Grosbois

Sandrine Buendia personnifie une Mimi florale et fine dans ses itinéraires vocaux (suivis sans grande assiduité par l’ensemble). Elle incarne avec bonhomie l’étoile lumineuse qui naît dans son regard dès sa rencontre avec Rodolphe. Kevin Amiel campe ce dernier, visiblement tendu pour cette première, et reste très propre et clair, quoique servant une dramaturgie un peu naïve. Le duo de personnages sort donc rarement d’un cadre figé. Même remarque pour la paire Marcel-Musette, dont la « reséduction » à l’acte II manque de peps. Jean-Christophe Lanièce, solennel et taquin, fait corps avec le souffle du vent d’hiver dans le rôle du peintre, et Marie-Ève Munger insuffle légèreté et précision aux amusettes de la femme fatale. Restent les atomes crochus à implanter.

Avec ses objectifs de théâtre et ses résultats d’opéra sans moyens optimaux, Bohème, notre jeunesse peut constituer une porte d’entrée vers le velours rouge des maisons lyriques. L’on s’interroge cependant sur le format composite, proposant du Puccini allégé à 0%, dans une autocensure de jeu et de libération qui casse un peu l’ambiance de ces moments intimistes.

Thibault Vicq
(Paris, le 9 juillet 2018)

Jusqu’au 17 juillet 2018 à l’Opéra Comique (Paris 2e)

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