Rodrigo de Handel au Festival de Beaune : victoire suprême

- Publié le 23 juillet 2018 à 17:15
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A la tête de son ensemble Les Accents, Thibault Noally dirigeait une distribution sans faille où brillait le timbre radieux d'Ana Maria Labin.

Né à Florence en 1707, deux ans avant l’Agrippina vénitienne, Rodrigo n’a pas son sel corrosif. Un souverain désinvolte, au trône vacillant, y suit un chemin de renonciation entre Florinda, mère vindicative de leur enfant illégitime, et la reine Esilena, épouse dont la belle âme domine le drame et en tire la leçon : « Se vaincre soi-même est la victoire suprême ».

Victoire d’abord pour Thibault Noally, qui dirige du violon son ensemble Les Accents, plastique, généreux, toujours soucieux du chant. Respiration partout, sans brusqueries indiscrètes, sans outrer les airs martiaux ou furieux. Complet de tous ses numéros, l’opéra vit et intéresse dans la continuité entre des airs assez concis et un récitatif qui installe le théâtre dans la basilique Notre-Dame : la rencontre de Florinda avec Esilena, les scènes entre les époux ne sont alors pas moins prenantes que les sommets lyriques de l’œuvre. Du côté belliqueux, le Giuliano corsé d’Emiliano Gonzalez Toro semble rivé à sa partition, fébrile dans la vocalise, mais son air ultime est fort beau. Anthea Pichanick offre à Fernando l’opulence mâle de son timbre mais que son souffle est court ! Aplomb, frémissement, mobilité, Alix Le Saux défend vaillamment le jeune Evanco.

Soprano révélée à Innsbruck dans Cesti, Arianna Venditelli n’engonce pas les affects mouvants de Florinda dans une posture de furie. Prudente dans la vocalise, elle ne manque ni d’ampleur ni de cette pointe métallique qui sied à « O morte, vendetta », mais elle sait porter « Così m’alletti » avec une grande légèreté de touche et nuancer la tristesse (« Fredde ceneri ») par des suspensions qui font oublier une élocution parfois floue. Chez Vivica Genaux, l’aigu tangue mais le grave saisit, moins pourtant que l’inventivité de la phrase, le coloris du discours (jusqu’à l’âcreté), la pertinence du pathos tragique. Entre « Occhi neri », joyau de cynisme insinuant, et la scène au temple, son étonnante personnalité impose le protagoniste comme une évidence.

Face à lui, plus qu’une reine. On devait à Ana Maria Labin des Mozart admirables avec Marc Minkowski (Donna Anna, Fiordiligi), mais son art de canaliser et d’imaginer la voix d’Esilena est confondant de naturel. Sa tenue instrumentale n’assèche jamais l’humanité absolument noble du personnage. « Per dar pregio », prodige de grâce en communion avec la splendeur du violon solo, vaut pour emblème de sa constance. Car d’un bout à l’autre, la variété des appoggiatures, les colorations inlassables de ce timbre radieux où passe l’ombre du doute, l’aptitude à tenir ensemble majesté, véhémence et vulnérabilité, la profondeur de pensée que manifeste le choix de chanter piano ce que d’autres durciraient, tout cela se résout en une incarnation que l’économie sublime du visage et du geste achève de rendre inoubliable. Grande artiste, et soirée rare, de celles qui honorent un festival.

Rodrigo de Handel. Festival de Beaune, le 20 juillet.

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