Le Crépuscule des dieux à Munich : Kirill Petrenko maître de l’anneau

- Publié le 30 juillet 2018 à 19:23
Home
Suite et fin d'un Ring Munichois sur lequel Kirill Petrenko fait souffler le souffle de l'épopée. Et où brille la Brünnhilde incandescente de Nina Stemme.

Des rescapés de catastrophes diverses entourent les Nornes. Le Crépuscule des dieux vu par Andreas Kriegenburg s’inscrit dans l’Histoire et la cité des hommes, avec un Gibichheim centre d’affaires au milieu d’une immense et rutilante galerie de verre et d’acier, symbole d’un monde fondé sur le fric et le sexe… et le portable. Gunther est un obsédé lubrique, prenant ses plaisirs avec les servantes asservies, Gutrune une poupée allumeuse, qui chevauche un grand euro d’or. Siegfried finit évidemment en costume cravate… tout cela rappelle un peu trop Patrice Chéreau.

Ce monde où l’un clone l’autre finit dans l’incendie du Walhalla, mais aussi dans un krach boursier, à travers une superposition du mythe et de l’aujourd’hui qui l’a dégradé. Cela ne convainc pas toujours. Parce qu’on sent, derrière l’évidence des allusions, une certaine facilité. Parce que la direction d’acteurs peut être à la fois brillante et relâchée – le récit de Waltraute par exemple, dont le metteur en scène ne sait que faire, le personnage de Hagen, surtout, presque réduit à un spectateur, plus désenchanté que diabolique. Quant à finir le Ring sur le chagrin de Gutrune… Heureusement, les figures de l’éden du début de L’Or du Rhin viennent l’entourer, l’absorber même : une renaissance reste possible.

Mais n’accusons pas le seul metteur en scène de sacrifier Hagen et Waltraute : à bout de voix, Hans Peter König perd toute noirceur ; magnifique chanteuse, Okka von der Damerau ne creuse pas assez les mots de Waltraute. Les autres se situent très haut, tel le Gunther de Markus Eiche, aussi formidable scéniquement que vocalement (quand Gunther éclipse Hagen, quelque chose ne va pas…). Moins éprouvé que par la deuxième journée, Stefan Vinke, ébloui par la Gutrune ardente d’Anna Gabler, n’assure pas mal en Siegfried, avec une mort en nuances.

Tout a commencé, grâce à Okka von der Damerau, Jennifer Johnston et Anna Gabler, par un beau Prologue. Tout s’achève par une incroyable scène finale : après avoir déjoué crânement les pièges d’un rôle impossible, consumée d’amour ou de vengeance, Nina Stemme y défie d’une voix insolente les hommes et les dieux. Mais tous sont surtout portés par la direction de Kirill Petrenko, qui fait souffler ici le souffle de l’épopée : le premier acte semble court, les interludes orchestraux conservent l’urgence du drame, alors l’orchestre reste aussi limpide que les eaux du Rhin. Le maître absolu de l’anneau, depuis L’Or, c’est lui.

Le Crépuscule des dieux de Wagner. Munich, Staatsoper, le 27 juillet.

Diapason