Festival de Salzbourg : Asmik Grigorian, Salomé absolue

- Publié le 5 août 2018 à 09:24
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Romeo Castellucci met en scène (et en transe) la Salomé de Richard Strauss. Dans le rôle-titre, la soprano Lituanienne Asmik Grigorian est la révélation de cette nouvelle production.

Devant le grand mur de pierre du Manège des rochers, dont les alcôves ont été fermées pour en accentuer encore la masse oppressante, un simple plateau doré. Malgré l’humilité de ce décor, rien de minimaliste dans la proposition de Romeo Castellucci. Comme à son habitude, le metteur en scène interroge la psychanalyse de l’œuvre, et peuple son spectacle d’une multitude de symboles qui ouvrent d’infinies perspectives de libre-interprétation.

On verra donc passer un étalon bien vivant, un double de Salomé enfant, un orchestre de cabaret, un combat de boxe, des géomètres, des corps ensanglantés… Jochanaan est une inquiétante créature noire, mi-homme mi-animal, peut-être la réincarnation du cheval entraperçu, puisqu’on le lavera au jet comme on le fait des équidés.

Pendant toute la Danse des sept voiles, Salomé reste immobile, en position foetale sur un cube doré, avant qu’un autre cube, descendu des cintres, ne vienne l’engloutir. Elle réapparait comme par magie ; on ne lui apportera pas la tête de Jochanaan, mais celle du cheval, ainsi que le cadavre décapité du prophète, alors qu’à jardin, une énorme baudruche étend son ombre terrifiante.

Castellucci n’a-il pas un peu trop peur du vide ? Devant une telle accumulation, on s’interroge. Tout en restant fasciné par ce ballet des corps, des objets et des lumières réglé au millimètre, distillant des visions qui imprègnent durablement la rétine et l’imagination.

Dans la fosse, les Wiener Philharmoniker offrent leur usuel banquet de timbres, que Franz Welser-Möst ordonne d’un geste inexorable, avec des fulgurances et des accélérations proches du cataclysme. Quel autre orchestre au monde parle si naturellement la langue de Strauss ?

Côté chant, aussi, c’est la fête. Victoire pour la saine jeunesse de Julian Prégardien (Narraboth), pour l’opulence d’Ana Maria Chiuri (Hérodiade), pour l’éclat de John Daszak (Hérode), rien moins qu’un ténor finissant, comme c’est trop souvent le cas. Triomphe pour Gabor Bretz, qui a l’étoffe, la puissance et le verbe halluciné de Jochanaan.

Mais c’est comme il se doit Salomé qui prend toute la lumière : voix torrentielle dans un corps d’adolescente, avec une étincelle d’argent dans le timbre et des trépignements de petite fille dans l’expression, Asmik Grigorian met la salle à ses pieds, au terme d’une formidable performance vocale et physique. Une princesse de Judée est née, que son règne soit long.

Salomé de Strauss. Salzbourg, Manège des rochers, le 1er août.

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