Une terne Aida en ouverture de la saison anniversaire de Nancy

Xl_aida_c2images_pour_op_ra_nationa_de_lorraine__14_ © C2images pour Opéra nationa de Lorraine

De même que l’Opéra national du Rhin avec Le Barbier de Séville, l’Opéra national de Lorraine a opté pour un classique du répertoire afin d’ouvrir cette saison qui marque le centenaire de la maison nancéenne. Point de nouvelle production cependant mais la reprise de l’Aida mise en scène par Staffan Valdemar Holm créée à l’Opéra de Malmö en 2015. Si l’on est loin du contresens dont ne se privent pas certains metteurs en scène, difficile toutefois de parler de réussite visuellement parlant.


Michelle Bradley (Aida) et Gianluca Terranova (Radames) ;
© C2images pour Opéra nationa de Lorraine

Avouons-le, on s’interroge sur les raisons de cette reprise. Staffan Valdemar Holm propose une version épurée et intimiste de cet opéra que l’on imagine le plus souvent faste, luxueux, grandiose, aux décors hollywoodiens. Pour autant, le metteur en scène rappelle que seuls dix pour cent de l’ensemble de l’œuvre sont occupés par les défilés, le reste étant des scènes intimistes. Certes, la « Marche triomphale » est l’un des airs les plus célèbres qui soient et la partitions compte probablement les trompettes les plus célèbres de l’Histoire, mais il n’en reste pas moins que l’intrigue principale est un triangle amoureux broyé par la politique et la religion qui ne font qu’un. Faire de ce constat la base du travail scénique serait intéressant s’il était exploité au-delà du simple constat, posé sur scène dans un décor (signé Bente Lykke Møller) unique et plutôt terne, composé de dix colonnes délimitant la scène. La platitude de la mise en scène se retrouve également dans les costumes aux couleurs globalement fades : tenues rappelant celles de femmes de chambre pour les esclaves, costumes modernes et robes blanches d’imam pour les hommes, même les quelques robes de soirée portées sont loin des couleurs vives. Seules exceptions à cette règle, la robe africaine d’Aida à la scène finale et celle, rouge, d’Amneris qui changera pour une robe grise brillante, puis une tenue blanche lorsqu’elle s’apprête à se marier avant de terminer en noir, peut-être parallèlement à l’évolution du personnage.


Gianluca Terranova (Radames), Jean Teitgen (Ramfis) et les choeurs;
© C2images pour Opéra nationa de Lorraine


Michelle Bradley (Aida) et Gianluca Terranova (Radames) ;
© C2images pour Opéra nationa de Lorraine

Force est alors de constater que Staffan Valdemar Holm ne propose finalement pas grand-chose, pas même une direction d’acteurs, cette dernière se cantonnant à des placements statiques, souvent en devant de scène, et à quelques gestes convenus, parfois surjoués. Il semble par ailleurs ne pas oser la transposition jusqu’au bout puisque, si les colonnes grisâtres peuvent être atemporelles et que les costumes rappellent une époque plutôt moderne, il conserve l’épée (brandie par un homme en chemise et costume) ainsi que la couronne de laurier. On s’interroge également sur la raison de la présence d’une danseuse qui semble être là principalement pour combler l’espace scénique à certains moments, sans pour autant que cela n’apporte en réalité grand-chose, comme au moment de la marche triomphale alors que les artistes du chœurs font des aller et venues sur scène, la traversant plus ou moins vite afin de montrer l’engouement du peuple. Le Triomphe a donc lieu dans le même décor que les confidences privées ou encore le tombeau final. Pour cette ultime scène, Staffan Valdemar Holm n’a eu d’autre idée que de mettre une chaise pliante noire attendant Radamès. Aida sort ensuite du fond de la scène, portant sa chaise pliante, donnant une image qui frôle le ridicule de son sacrifice amoureux : elle s’y rend finalement comme on se rendrait à un pique-nique avec sa chaise de cuisine. Amneris fera d’ailleurs de même. L’idée de la voir apparaître dans le « tombeau » au côté des deux amants n’est toutefois pas dénuée d’intérêt, la faisant ainsi se sacrifier comme ultime geste de désaccord avec la peine exagérée à l’encontre de celui qu’elle aime.

Heureusement, si la mise en scène laisse un goût fade, les voix réunies ont de quoi ravir et sauvent la soirée. Michelle Bradley chante à merveille la partition d’Aida avec la palette large de sa voix riche et puissante. L’amplitude est à la mesure de ce qu’exige la partition, alternant la fragilité et la force du personnage. Dommage toutefois que la maîtrise du chant ne se retrouve pas dans le jeu, mais la cantatrice est-elle réellement à blâmer ici ? Face à elle, le Radames de Gianluca Terranova n’a pas à rougir, armé d’un bel aplomb et d’un timbre velouté, solaire. Bien que la projection soit des plus suffisantes, difficile d’égaler le Ramfis de Jean Teitgen, phénoménal de bout en bout. Le timbre est somptueux et appelle au respect, d’une autorité naturelle dans le rôle du prêtre à qui il apporte également ce qu’il faut de nuance dans une ligne de chant idéale. Enkelejda Shkoza est toutefois celle qui s’en sort probablement le mieux dans l’incarnation du personnage. Elle est une Amneris amoureuse, passionnée, jalouse, triste, révoltée, bref : entière. Les graves sont plaisantes, et les aigues remarquables. Alejandro López est un Roi qui tient vocalement bien son rôle malgré un accoutrement présidentiel façon « men in black », lunettes de soleil fixées sur le visage. Taesung Lee est pour sa part un messager très convenable, de même que Jennifer Michel une belle prêtresse. Enfin, Lucian Petrean montre un Amonasro sans envergure, ne parvenant pas à faire surgir ni de la voix ni du jeu la moindre impérialité. Difficile également de ressentir le moindre amour ou de la tendresse paternelle envers sa fille, mais il offre une prestation très correcte.

La partie chorale est elle aussi digne d’éloges : les chœurs de l’Opéra national de Lorraine et de l’Opéra-Théâtre de Metz sont réunis et offrent une très belle homogénéité, capable d’une puissance impressionnante comme de subtilité et de modulations plus fines. Ils participent pleinement à la réussite vocale de la soirée, de même que l’Orchestre symphonique et lyrique de Nancy sous la direction de Giuliano Carella. Si l’acoustique sèche de la salle se fait tout de même ressentir et que l’on est habitué à des nuances plus marquées dans cette partition, l’interprétation moins clinquante obéit au caractère intimiste de l‘œuvre et nous ramène à son essence.

L’Opéra national de Lorraine ouvre donc sa saison par une production dont la mise en scène se révèle terne, fade, sans saveur, mais sans contresens non plus. Heureusement, les voix réunies ici ont de quoi nous régaler et combler notre appétit !

Elodie Martinez
(le 27 septembre 2018)

Aida, Opéra national de Lorraine, jusqu'au 4 octobre.

| Imprimer

En savoir plus

Commentaires

Loading