Belle idée de présenter à Genève The Beggar’s Opera de Johann Christoph Pepusch et John Gay, revu par Ian Burton et mis en scène par Robert Carsen. Ce duo révise une œuvre créée à Londres en 1728 et lui donne une vivifiante modernité, en plongeant l’intrigue dans les bas-fonds d’une ville quelconque, de notre temps, en proie aux dealers et autres voleurs, dans un décor de cartons empilés.

Ce mur de cartons s’élève jusqu’au ciel, empêchant un horizon, une lueur de lune, la chaleur d’un rayon de soleil. Un gueux endormi au pied du mur, emmitouflé dans son sac de couchage, avec près de lui des reliefs de pizza, sera vite réveillé par des sirènes tonitruantes et gyrophares aveuglants de police : nous sommes bien au XXIe siècle. Comme l’a expliqué Robert Carsen, cette pièce « explore un monde cynique où cupidité capitaliste, crime et injustice sociale sont les normes. » Ne bougeons plus : trois siècles plus tard, la satire est toujours d’actualité.

Sur scène, côté jardin, l’orchestre se met en place sur des cartons, autour du clavecin de William Christie. Ipads en guise de partitions, une flûte, un hautbois, quelques cordes, l’ensemble est à l’affût de l’action et ira même jusqu’à y participer. Musicalement, tout ne sera que fluidité, l’orchestre se fondant naturellement dans une mise en scène millimétrée mais qui a le génie de ces maisons de haute couture capables de structurer sans faire apparaître la technique. On retrouve ainsi une aisance dans les déplacements, du naturel dans le jeu, une modernité très agréable qui rend aux parties leur rôle de moteur de l’action sans un affadissement de l’énergie musicale. À ce titre, il faut souligner le rôle majeur de l’équipe de malfrats-danseurs, d’une énergie incroyable, qui rivalise de talent pour donner aux scènes une touche hip-hop moderne du meilleur effet !

Si la mise en scène et le travail d’acteur sont irréprochables, on aura été moins ébloui par les prestations vocales d’un plateau assez déséquilibré : Kraig Thornber incarne un Lockit merveilleux en chef de police véreux, s’enfilant des lignes de coke à l’envi avant de filer aux trousses de Mr Peachum. Celui-ci est incarné par un Robert Burt plein de verve en chef de meute, d’une énergie fantastique, avec un timbre superbe et une projection divine. La mise en scène parvient merveilleusement à faire douter de qui est le plus pourri des deux…

Mrs Peachum est incarnée par une formidable actrice en la personne de Berverley Klein. Si elle brûle la scène de ses apparitions en tenancière de bordel, femme d’homme de pouvoir, on ne peut en revanche qu’émettre des réserves sur la voix qui souffre d’un vibrato conséquent. Dans une autre mesure, le beau Macheath de Benjamin Purkiss manque le coche malgré des atours physiques et une aisance scénique indéniables qui ne comblent que partiellement une voix dure, droite, poussée et étroite.

Parmi les seconds rôles, on aura été époustouflé par le Filch du si jeune Sean Lopeman, dont les talents d’acrobate rivalisent avec son naturel désarmant. Et que dire du reste de la troupe de malfrats qui dansent, sautent, virevoltent et chantent avec l’aisance des meilleures troupes de musicals ! Autre duo de charme, les deux amoureuses de Macheath que sont la Polly Peachum de Kate Batter et la Lucky Lockit d’Olivia Brereton. Les deux chanteuses rivalisent de charme tant scéniquement que vocalement, tout comme le groupe de prostituées qui offrent à leurs interventions une présence vocale de première catégorie et une crédibilité scénique totale : quelle bande de poules joyeuses, affublées des plus beaux atours !

En guise de happy end, l’œuvre nous réserve une nouvelle caricature de notre société : le dealer Macheath échappe à la potence et se retrouve l’instant d’après promu en chef de gouvernement. Les dealers enfilent des costards, les prostituées de beaux tailleurs et le tour est joué : la grande lessiveuse a transformé le gueux, le voleur, le menteur en homme respectable. Quelle belle soirée !

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