Journal

Rodelinda de Haendel à l’Opéra de Lille – Lorsque l’enfant paraît – Compte-rendu

L’enfant, Flavio, est le fruit de l’amour indéfectible entre Rodelinda et Bertarido. Bien qu’au cœur des enjeux de passion et de pouvoir, il ne parle, ni ne chante. Il est là, silencieux. Il assiste au drame en train de se jouer, ou plus exactement le rejoue, à sa façon. La musique semble alors s’inventer devant nous, au gré de l’imagination et de la fantaisie, des rêves et des cauchemars d'un enfant innocent, qui jamais ne juge, mais interroge. Tel est le parti pris scénographique, infiniment poétique et sensible, du metteur en scène Jean Bellorini (directeur du Théâtre Gérard Philipe /CDN de Saint-Denis) qui retrouve l’Opéra de Lille, deux ans après la Cenerentola.
  © Simon Gosselin
 
Emmanuelle Haïm, toujours en résidence lilloise, poursuit, quant à elle, son compagnonnage fidèle avec Haendel : après TamerlanoGiulio CesareOrlandoAggripinaIl Trionfo del Tempo, elle retrouve, visiblement avec passion, la partition de Rodelinda, déjà abordée il y a une quinzaine d’année au Festival de Glyndebourne.
 
Rodelinda, reine de Lombardie, amoureuse de Bertarido, mère de Flavio, est prise dans un insoutenable dilemme. Se croyant veuve et par loyauté envers son époux, elle résiste d’abord aux avances de Grimoaldo qui vient de remporter la guerre et prétend au trône. Les tensions montent. Dans une scène bouleversante, Rodelinda finit par accepter d’épouser le tyran, seulement si ce dernier tue l’enfant, héritier légitime du trône. Intensément expressive, la musique peut compter sur une distribution exceptionnelle, à commencer par le rôle-titre, (très) incarné par Jeanine de Bique : une révélation ! Le timbre chaud, corsé, se colore et s’illumine, au gré des affects qui la traversent. Frissons dans ses Lamenti. Larmes dans le duo « Io t’abbraccio », moment suspendu bouleversant.
 © Simon Gosselin

Le contre-ténor Tim Mead (1)(Bertarido) confirme son talent et son aisance dans ce répertoire, tout comme Jakub Józef Orliński, Unolfo magnifique, qui chante et danse son personnage. Benjamin Hulett campe un Grimoaldo violent mais fragile puis profondément émouvant dans son renoncement. Avery Amereau, transformée en belle sorcière, révèle un rare timbre de mezzo grave, qui s’échauffe et s’affirme au cours de la soirée. Quant à la basse d’Andrea Mastroni (Garibaldo), elle gronde, rugit, résonne - un vrai méchant d’opéra !
 
L’expressivité, la sève, l’essence de la musique de Haendel prennent vie entre la fosse - Emmanuelle Haïm et son Concert d’Astrée s’y révèlent infiniment subtils - et la scène à la fois dépouillée et totalement habitée par les personnages et le dispositif conçu par Jean Bellorini (assisté de Véronique Chazal pour les décors).
Les pièces d’un palais glissent latéralement, tels des wagons, au rythme de la musique. En écho, un train miniature traverse l’avant-scène de cour à jardin. Les chanteurs manipulent des marionnettes à leur effigie, ou enfilent des masques de poupée. Des bougies côtoient néons ou lustres baroques, tandis que des espaces plus sombres suggèrent les grilles d’une prison. Macha Makeïeff signe de magnifiques costumes d’un baroque rêvé, rehaussés d’une couleur attribuée à chacun des protagonistes. 
Tout n’est pas dit, tout n’est pas montré, mais tout convoque avec intelligence l’émotion et l’imaginaire du spectateur. La musique alors transparaît.

Gaëlle Le Dantec

(1) Remarquable artiste qui vient d'enregistrer un très beau récital Purcell en compagnie de François Lazarévitch et de ses Musiciens de Saint-Julien (Purcell : "Songs & Dances" / Alpha Classics) ndlr

Haendel : Rodelinda – Lille, Opéra, 4 octobre ; prochaines représentations les 11 et 14 octobre 2018 (retransmission en direct sur Mezzo et Culturebox le 11 octobre) // www.opera-lille.fr/fr/saison-18-19/bdd/cat/opera/sid/99794_rodelinda
 
Photo © Simon Gosselin

Partager par emailImprimer

Derniers articles