À l’Opéra de Bordeaux, ceux qui s’attendaient à une ouverture de saison festive en ont été pour leurs frais : ce sont des huées nourries qui ont accueilli l’entrée en fosse du directeur et chef d’orchestre Marc Minkowski, samedi soir, pour la première de La Périchole. Un peu plus tôt, les musiciens de l’Orchestre National de Bordeaux Aquitaine, en frac, tractaient devant le bâtiment. La raison de cette agitation générale ? La mise à la porte de l’orchestre maison pour cette première production de la saison, au profit des Musiciens du Louvre, formation indépendante… fondée et toujours dirigée par Minkowski. Pour un événement aussi important et symbolique, on reconnaîtra que cette programmation était d’une étonnante maladresse, surtout dans un climat économique plus enclin à supprimer des postes qu’à doubler les orchestres.

La crise ne devrait pas se prolonger, espérons-le : avant de lancer l’ouverture, le maestro a rassuré les spectateurs avec un calme olympien, annonçant une nouvelle production des Contes d’Hoffmann en ouverture de saison prochaine, avec l’ONBA dans la fosse. Applaudissant chaleureusement la nouvelle, le public a montré que la bronca initiale n’était pas tant une marque d’hostilité… qu’un témoignage d’amour envers ses artistes, ce qu’a confirmé le cri d’une spectatrice : « On l’aime, notre orchestre ! » On a connu des huées autrement plus détestables. Dès les premières notes de l’ouverture, le public se montrera des plus tranquilles et réservera une juste ovation aux artistes une fois le rideau retombé. 

Musicalement, le succès est indubitablement au rendez-vous : Minkowski montre encore une fois son affinité avec le roi de l’opérette en faisant preuve d’une verve entraînante, et ses Musiciens du Louvre le lui rendent bien. On pourra leur reprocher d’être davantage dans le volume que dans l’énergie, gonflant parfois excessivement quelques motifs secondaires, mais leur justesse est remarquable de constance. L’ouvrage suit un rythme trépidant qui doit beaucoup à leur virtuosité collective. Du côté de la distribution vocale, on a craint le pire avec l’annonce, avant l’ouverture, de la laryngite d’Aude Extrémo. La mezzo fait cependant mieux que tenir sa place. Si son timbre et sa projection marquent le pas dans la première partie, son élocution est irréprochable et la chanteuse parvient à se hausser progressivement au niveau de ses partenaires, lançant des « Je t’adore, brigand » vibrants d’expressivité dans le dernier acte. La palme revient cependant au duo masculin : formidable de puissance et capable de cascades spectaculaires, Alexandre Duhamel barytonne avec éclat en vice-roi, sans pour autant sacrifier le phrasé et l’articulation. L’ovation la plus importante reviendra cependant à Stanislas de Barbeyrac. La seule présence de ce brillant ténor mérite le déplacement tant sa maîtrise vocale est totale. Héroïque et drôle dans la chanson tubesque des « Espagnognognols », tendre et doux dans son air de la prison, il dessine ses couplets avec une finesse admirable.

On ne peut malheureusement pas en dire autant de la mise en scène. Vice-roi sans pantalon sous son tablier, personnages féminins vulgaires et hyper sexualisés, décor pailleté clinquant, la démonstration d’inélégance est complète. Pour sa première grande mise en scène, Romain Gilbert confond premier et second degré, soulignant grossièrement ce qu’Offenbach glissait avec la fugacité d’un clin d’œil ou la légèreté d’un sous-entendu. La répétition des allusions à la « consommation »par trois cousines entraîneuses qui multiplient les papouilles, est d’une lourdeur pénible. Par ailleurs, le metteur en scène passe à côté des subtilités de l’ouvrage : Offenbach insère-t-il une parodie savoureuse du philtre d’amour wagnérien ? Gilbert préfère faire tituber ses deux héros alcooliques avec un réalisme peu inspiré. Quant à la mise en abyme du chant – le couple principal incarne des chanteurs de rue dénués de talent –, on n’y prend même pas garde, alors même que c’est un moteur majeur de l’ouvrage… et une source intarissable de sarcasmes lancés par Offenbach au milieu lyrique.

On attendait beaucoup d’Émilie Valantin et de ses marionnettes pour rehausser cette production. Voilà qui aurait pu apporter une profondeur bienvenue, un second niveau de lecture pendant que l’action s’arrête sur les airs, voire un peu de poésie colorée au milieu d’un décor triste qui se noie dans les paillettes… Las, l’action des marionnettes épouse le premier degré de la production, dupliquant sans imagination le texte chanté. On regrettera le foisonnement d’un Domino noir, qui tirait l'an dernier le même genre de ficelles, l’an dernier à l’Opéra-Comique, avec un résultat bien plus convaincant.

Dans la salle, les coproducteurs du Palazzetto Bru Zane ont dû cependant se frotter les mains. Cette Périchole fera l’objet d’un disque dans leur collection. Débarrassé des mésaventures de la production bordelaise, il ravira à n’en pas douter les amateurs d’Offenbach.

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